P2P: L'offensive française contre les logiciels

par Astrid GIRARDEAU
publié le 7 novembre 2008 à 17h30
(mis à jour le 7 novembre 2008 à 22h38)

Fin 2007, quelques mois après avoir attaqué trois éditeurs de logiciels d'échange de fichiers en p2p, Vuze (anciennement Azureus), Morpheus et Sourceforge/Shareaza , la SPPF (Société des producteurs de phonogrammes français) s'acharnait en portant plainte contre LimeWire devant le tribunal de grande instance de Paris. Jusqu'ici la procédure était cependant bloquée. Il s'agissait d'une première en France. Et ces éditeurs étant étrangers, il fallait d'abord déterminer si la justice française était compétente pour statuer. Oui a répondu cette semaine le tribunal de grande instance (TGI) de Paris. La procédure va donc pouvoir se poursuivre.

La SPPF attaque les quatre éditeurs pour délit de contrefaçon après avoir fait constaté, par la société française Advestigo, l'échange de fichiers illégaux entre internautes situés en France via ces logiciels. Or, selon l'un des amendements de la loi DADVSI ( l'article L. 335-2-1 du code de la propriété intellectuelle ), le fait «d''éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés» peut être condamnable à 3 ans d'emprisonnement et à 300000 euros d'amende.

Dans la plainte déposée en juin 2007, la SPFF demandait simplement et purement l' «arrêt immmédiat de la distribution et du fonctionnement» des logiciels incriminés. Et réclamait 3,7 millions d'euros à Morpheus, et 16,6 millions à Vuze.

«L'accusation repose sur ce que l'on avait appelé l'amendement Vivendi qui autorise depuis l'été 2006 la poursuite d'éditeurs de solutions destinées à échanger des fichiers , explique Cédric Manara, professeur de droit à l'EDHEC. Avant cette loi, il n'était pas juridiquement possible, ou en tout cas très compliqué, avec peu de chances de succès, de poursuivre en France Napster ou Kazaa, autrement dit de poursuivre des sociétés qui avaient simplement conçu des logiciels d'échange. Car il n'était pas illégal en soi d'éditer de tels logiciels, qui ne pouvaient se révéler illégaux que par leur usage par les internautes. Pour pouvoir attaquer le problème à la source, les ayants droit ont obtenu l'adoption de cet amendement...»

Si Jérôme Roger, président de la SPPF déclarait en octobre 2006 vouloir «s'en prendre aux véritables responsables de la piraterie en ligne» , il attaque cependant Sourceforge/Shareaza, qui est aussi un site d'hébergement de projets open source, et Vuze qui compte quelque 200 partenaires (dont PBS, Showtime, National Geographic, etc.) et poursuit depuis près de trois ans des discussions avec les fournisseurs de contenus, à Hollywood notamment, pour trouver d'accords de distribution via sa plateforme.

Interrogé en juin dernier sur la plainte de la SPPF, et plus généralement sur la loi DAVDSI, Gilles BianRosa, PDG et co-fondateur de Vuze, nous répondait : «attaquer les outils qui permettent, par leur technologie, de rendre la distribution des contenus plus facile et donc de limiter le piratage sur Internet, ça me paraît contradictoire. Vuze est un client, une application qui permet d'utiliser un certain protocole sur le réseau, que le contenu soit légal ou pas. C'est très difficile techniquement de savoir si une copie qui transite par notre logiciel est légale ou pas, et ça exige également un coût monstrueux.» Rappelant le travail de sa société pour développer une offre légale, il poursuivait : «si on se contente du bâton, on a la manière brutale, qui va oblitérer l'innovation. Ca n'empêchera certainement pas le piratage, mais ça empêchera d'avoir des sociétés comme Vuze, qui tentent de le contrer en offrant une qualité comparable pour l'utilisateur.»

L'histoire paraît d'autant plus invraisemblable que, de son aveu même, Jérôme Roger expliquait en juin dernier «ce n'est pas avec cette action que nous mettrons un terme au téléchargement illégal» .

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