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Libération

Parano man’s land

Nicholas Brody, marine détenu par Al-Qaeda, est de retour au pays. Manipulations, soupçons et menace terroriste agitent le thriller psychologique «Homeland», à partir de ce soir sur Canal+.
par Fabrice Rousselot
publié le 13 septembre 2012 à 19h55
(mis à jour le 13 septembre 2012 à 19h55)

Le garage est bien là. Impeccablement reconstitué au beau milieu des studios que la Fox a installés en Caroline du Nord. Les outils sont bien rangés, l’évier est un peu émaillé. Une lampe traîne dans un coin. C’est ici, dans cet espace clos, que le sergent Nicholas Brody, rescapé d’Afghanistan après huit ans de captivité, va un jour cacher un tapis de prières sur une étagère. Pour venir s’agenouiller et saluer Allah dès qu’il en a l’occasion, et renforcer encore un peu plus les suspicions sur ses réelles intentions…

A elle seule, cette scène de la première saison de Homeland , qui débute sur Canal + ce soir, résume assez bien une série qui a été largement saluée par la critique aux Etats-Unis. Produite par Fox et diffusée sur Showtime outre-Atlantique, Homeland a su éviter tous les pièges liés au contexte qui est le sien, celui de l'après 11 Septembre et des conflits en Irak et en Afghanistan.

Adapté de la série israélienne Prisoners of War , de Gideon Raff, qui relate le retour au pays de deux soldats israéliens retenus prisonnier, le feuilleton trouve vite sa propre identité, et plante le décor d'une Amérique à la fois obsessionnelle, traumatisée et paranoïaque, où personne n'est tout à fait coupable ou tout à fait innocent.

On a un peu l'impression d'être dans une version plus subtile et plus évoluée du survitaminé 24 Heures chrono , et ce n'est pas totalement un hasard. Les deux créateurs de Homeland , Howard Gordon et Alex Gansa, ont ainsi longtemps été aux manettes de la série planétaire avec Kiefer Sutherland. «24 Heures chrono était un thriller basé sur l'action, reconnaît Alex Gansa, mais Homeland est un thriller psychologique. Nous avons pu bénéficier d'une certaine distance quand nous avons commencé à travailler. Les tours étaient tombées depuis dix ans, et cela nous a permis de poser plus de questions à un public dont nous savions aussi qu'il était plus éduqué.»

C'est grâce à la complexité de ses personnages et de ses intrigues, que Homeland réussit à captiver. Dès le premier épisode, on ne peut s'empêcher de se demander si Brody (interprété par l'Anglais Damian Lewis) a été «retourné» par Al-Qaeda et prépare un attentat contre son propre pays. C'est en tout cas la conviction intime de Carrie Mathison (Claire Danes), une agente du CIA, qui est totalement obnubilée par la menace terroriste. Présentée comme cela, la série pourrait apparaître assez simpliste. C'est tout le contraire. Très vite, on apprend que Carrie est bipolaire, et que ses angoisses sont aussi liées à sa névrose. Comme la parabole d'une Amérique malade du terrorisme. «Elle sait qu'elle est instable et elle se pose des questions sur ses propres capacités et sur sa façon de voir le futur. Elle se méfie de son propre jugement» , commente l'actrice principale, Claire Danes sur le tournage de la deuxième saison à Charlotte, tout en rappelant que son personnage tombe amoureuse de Brody, ce qui complique encore les choses.

Pour les acteurs, le sujet n'était pas forcément facile à aborder. «J'étais un peu inquiet au début» , confie Damian Lewis, après une scène particulièrement intense. Débardeur et yaourt à la main, il assure qu'il n'aurait «pas été intéressé par une série qui aurait fait un parallèle facile entre islam et terrorisme» . Il poursuit : «Quelque part, l'islam a sauvé Brody en captivité, car cela lui a permis de retrouver la foi.» Avant de conclure : «C'est extraordinaire de penser que l'on peut montrer un héros américain qui pourrait être un traître, ou un vice-président américain qui peut être impliqué dans un acte terroriste. C'est parce qu'on est loin des clichés et des solutions faciles que les gens accrochent.»

Durant les douze premiers épisodes de Homeland , on ne sait donc pas trop quoi attendre de celui qui va suivre. Et c'est tant mieux. Les personnages ont tous une faiblesse, une blessure, et l'Amérique prend aussi des coups, ébranlée dans ses certitudes quand, par exemple, Howard Gordon et Alex Gansa montrent à quoi ressemblent les victimes innocentes d'une attaque aérienne aveugle.

Ce jour-là sur le tournage, Damian Lewis et Claire Danes vont jouer et rejouer une scène de retrouvailles. Au total, vingt-deux minutes d'intensité ininterrompue, où ils se jaugent l'un l'autre, où elle utilise leurs sentiments mutuels pour essayer de lui soutirer des informations sur un éventuel attentat en préparation. «C'est pour ce genre de scènes que l'on est acteur, commente Claire Danes, mais je suis épuisée. Il faut tout donner. Ça ira mieux demain.»

Dans la série, le seul élément modérateur est Saul, le mentor de Carrie à la CIA, interprété par le remarquable Mandy Patinkin, connu depuis plus de trente ans aux Etats-Unis, notamment pour ses prestations sur Broadway. Quand Carrie doute de tout et d'elle-même, c'est lui qu'elle va trouver pour ne pas perdre la voie de la raison. Comme tous ceux qui jouent dans Homeland , Patinkin avoue «être très impliqué» dans la série. A Charlotte, on le voit qui hante les plateaux, les yeux rivés sur un écran, incapable de détacher son attention d'une scène en plein tournage. «C'est un vaste projet auquel nous participons, affirme-t-il, à la fin de la journée, bien sûr, c'est du spectacle, mais c'est du spectacle qui a un sens. On touche à ce qui se passe aujourd'hui en Amérique. On montre qu'il n'y a pas forcément que des méchants et des gentils. Et si cela peut faire avancer les choses, changer un peu la vision des gens, les éloigner de cette fracture entre ceux qui sont d'un côté et ceux qui sont de l'autre, alors pourquoi pas ?»

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