Menu
Libération
Critique

«Paranormal activity» : le bingo de l’horreur

hiiiiiiiiiii! Réalisé avec trois bouts de ficelle, le film fantastique d’Oren Peli a explosé le box-office américain. Récit.
par Bruno Icher
publié le 2 décembre 2009 à 0h00

Oren Peli n'est pas très causant. A sa décharge, ce garçon est amené à raconter la même histoire depuis des mois, un exercice de nature à fatiguer les plus coriaces. Le destin presque miraculeux de son film, Paranormal Activity, passionne tout le monde. Et pour cause. Quand un parfait inconnu de 39 ans, ex-programmateur de jeux vidéo, fait un carton monumental avec un film tourné à une seule caméra dans sa propre maison, le tout avec 11 000 dollars (7 300 euros), ça engendre une certaine curiosité.

Le début de l'aventure Paranormal Activity date de 2005. «Je m'étais installé dans une banlieue résidentielle de San Diego avec ma copine. Moi qui ai toujours vécu dans des appartements en centre-ville, tout ce calme m'a perturbé. Le moindre craquement prenait des proportions inquiétantes.» Oren Peli ne croit pas aux fantômes, mais il est suffisamment troublé pour installer une caméra dans son salon afin de voir ce qui s'y passe la nuit. Il ne se passe strictement rien mais cela lui donne l'idée d'un film à la Blair Witch, fauché et flippant et dont, justement, l'esthétique amateur constitue l'un des éléments du climat anxiogène recherché.

Fantôme.Paranormal Activity est le journal intime vidéo d'un couple sujet à une petite névrose paranoïaque. Ils sont jeunes, sympathiques, et persécutés par des manifestations inexplicables. Claquements de portes, grincements, chuintements… le bazar habituel des maisons hantées. Sauf que ce n'est pas la maison qui est en cause. Elle (Katie) croit dur comme fer qu'un esprit lui en veut personnellement, ce qui rend inutile toute tentative de fuite. Lui (Micah) est un pragmatique fier-à-bras qui veut montrer à sa compagne qu'il ne va pas se laisser emmerder par un fantôme. Il achète donc une caméra pour voir ce qui se passe vraiment la nuit, quand ils dorment. Et ils voient ce qu'ils ne devraient pas voir.

Tout ce qui est possible de dire, c’est qu’Oren Peli a eu deux très bonnes idées. En premier lieu, il alterne les plans chaotiques à la YouTube, qui font mal aux yeux, avec de longs plans fixes, ce qui produit un rythme presque doux au film. D’autre part, il joue sur une bande-son basse et subtile où le public doit tendre l’oreille en permanence, accentuant la tension nerveuse des scènes clés.

Coursier.«On a tourné le film en une semaine dans ma maison. Pour les comédiens principaux, Katie Featherston et Micah Sloat, il s'agissait de leur première expérience. Ça a été assez simple, finalement», raconte le lapidaire Oren Peli. Le montage a été moins facile. «A cette époque, je ne pouvais me consacrer au film que pendant les week-ends et les soirées. De plus, je travaillais seul sur un ordinateur et c'est un boulot que je n'avais jamais fait. Enfin, je doutais en permanence des choix à faire. Quand je montrais mon travail à des amis, ils réagissaient de manière très différente, parfois opposée, et cela me nourrissait autant que cela me perturbait.»

Oren Peli finit pourtant par terminer un montage juste à temps pour expédier un DVD au Screamfest 2007 de Los Angeles. Un festival de films de genres qui, depuis sa création en 2001 par Rachel Belofski, est considéré comme le Sundance de l'horreur, ouvrant volontiers sa programmation aux indépendants. La salle du légendaire Graumann's Chinese Theater réserve un accueil très chaleureux au film, et le festival accorde même le prix d'interprétation féminine à Katie Featherston. Le genre de situation qui, à Hollywood, reste peu de temps secrète. «Juste après le festival, j'ai trouvé un agent qui s'est occupé de mon film et, dans la foulée, j'ai été sélectionné à un autre grand festival, le Slamfest, dans l'Utah. Et puis Dreamworks s'est montré intéressée.»

C'est à partir de cet instant que la frontière entre vérité et légende commence à légèrement se flouter. Qui dit Dreamworks, dit Steven Spielberg, confondateur du studio. Des tas d'histoires circulent sur la soirée où le réalisateur star a vu Paranormal Activity dans sa villa de Pacific Palissades. On dit que juste après avoir vu le film, il n'a pas pu ouvrir la porte de sa propre chambre, inexplicablement verrouillée. On dit qu'il n'a pas dormi de la nuit ; qu'il a appelé un coursier à l'aube pour lui refiler le DVD qu'il ne voulait plus sous aucun prétexte garder sous son toit… On dit beaucoup de conneries. «La vérité, c'est que Spielberg a beaucoup aimé le film», corrige Peli. «Quand il l'a vu, il était seul chez lui et le lendemain, il a raconté que ça lui avait foutu une telle trouille qu'il avait interrompu le film et qu'il avait regardé la fin le matin, à la lumière du jour.»

Buzz. Toujours est-il que le film atterrit entre les mains de Steven Schneider, producteur tête chercheuse qui travaille actuellement sur une dizaine de projets. Lui sait à quelle porte frapper : celle de Jason Blum. Le jeune homme a longtemps travaillé sous la houlette des frères Weinstein, chez Miramax. Il s'occupait du département des achats et avait, il y a dix ans, raté Blair Witch Project. Inutile de revenir sur l'engueulade maison, probablement assortie de menaces de mort immédiate dans d'affreuses souffrances, qu'il a dû endurer de la part des Weinstein, tyrans notoires. «Blum ne pouvait pas laisser passer Paranormal Activity», confirme Oren Peli dans un sourire.

La suite de l'histoire est plus laborieuse. Dreamworks, qui n'a plus de structure de distribution, refile le bébé à la Paramount, réticente à faire d'un film amateur une sortie nationale. L'idée d'un remake avec des moyens plus convenables traverse quelques esprits. «Le succès du film dans les festivals a fini par convaincre les distributeurs de sortir le film dans quelques college towns», explique le cinéaste. Très exactement treize salles dans des villes proches des campus, tout en essayant de faire le buzz sur le Net.

«C'est Amy Powell, de la Paramount, qui a eu l'idée géniale. Elle a utilisé une des fonctions de Facebook grâce à laquelle les adhérents du réseau votent pour qu'un concert de leur groupe favori ait lieu dans leur ville. Elle a appliqué le principe pour ce film.»Paranormal Activity, lancé le 25 septembre dans une poignée de salles, a été plébiscité dans tout le pays. Trois semaines plus tard, alors que Paranormal battait à plate couture Saw VI au box-office de la semaine de Halloween, il figurait à l'affiche de près de 2 000 salles aux Etats-Unis, franchissant allégrement la barre des 100 millions de dollars de recettes. A présent, il s'attaque à l'Europe.

des précédents FAUSSEMENT AMATEURS

Blair witch project (1999)

Des étudiants aux prises avec leurs propres terreurs, et c’est le phénomène de la décennie. Eduardo Sánchez et David Myrick invitent le style YouTube au cinéma et inventent un nouveau sous-genre à la série B.

REC (2007)

Jaume Balagueró et Paco Plaza racontent une affaire classique de zombies affamés à travers la caméra d’un couple de reporters coincés dans un immeuble. Cohérent, le film s’appuie sur l’action en temps réel et de jolis trucages à l’ancienne. Rafraîchissant.

Cloverfield (2008)

Avec un caméscope, des jeunes gens filment l’attaque de New York par un Godzilla en rogne.

Réalisé par Matt Reeves et produit par J.J. Abrams, le film multiplie les références aux images hypnotiques du 11 Septembre. L’intelligence de ce film à gros budget consiste justement à en montrer le moins possible.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique