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Paye ton film d’abord!

"Alice au pays s'émerveille", court-métrage dont le tournage avec Emir Kusturica débute en Serbie, compte sur les internautes pour boucler son budget.
par Alexandre Hervaud
publié le 15 mars 2009 à 9h41
(mis à jour le 15 mars 2009 à 11h04)

A l’heure où le gouvernement oppose créateurs et internautes pour imposer une loi controversée, des initiatives originales nous rappellent que création et Internet sont tout à fait compatibles. Les sociétés de production SlumberLand Factory et Y.M.C. en sont l’exemple parfait. Il y a un peu plus d’un mois, elles annonçaient la mise en route d’un projet collaboratif : produire un court-métrage en majeure partie financé par les internautes

Tourné en Serbie à partir de ce samedi, réalisé par Marie-Eve Signeyrole, Alice au pays s'émerveille affiche, au casting, un certain Emir Kusturica. Le film, qui se déroule dans un village serbe où «il pleut des corps» , suit l'histoire d'un flic au bout du rouleau, Sacha. Le dépressif a kidnappé sa collègue et maîtresse, enceinte, et se trouve confronté à un mystérieux gardien (Kusturica), bien décidé à calmer la situation. Road-movie teinté d'humour noir, le film a essuyé plusieurs refus d'aide au financement (dont le CNC et Canal +). La stratégie de l'appel aux souscriptions des internautes est vite apparue comme une évidence pour l'un des producteurs, Pierre-Emmanuel Le Goff : «Mon père écrivait des ouvrages de droit, raconte-t-il à Libération. Dans les années 80, il avait lancé une souscription pour faire paraître son livre. J'avais repris cette idée pour financer mon film de fin d'étude, en prévendant des VHS du court-métrage avant sa réalisation.»

Appliqué à la musique, le principe peut rappeler celui du site MyMajorCompany , cofondé par Goldman junior et encensé par Christine Albanel, qui propose aux internautes de miser sur des poulains de la chanson. Une fois le pactole de 70 000 euros atteint, l'album est produit. C'est l'origine de l'épuisante ritournelle de Grégoire, Toi+Moi , que nos tympans meurtris ne méritaient pas. Actuellement, 27 000 euros ont été récoltés pour Alice au pays s'émerveille . Une somme rondelette mais insuffisante pour couvrir les frais. «On vise 35 000 euros pour couvrir la partie technique et logistique» , explique Le Goff. Les généreux internautes ont plusieurs options pour financer le film, du statut de «producteur fauché» (de 5 à 25 €) dont le nom sera affiché au générique, jusqu'à celui de «producteur VIP Plus» (au-dessus de 1 500 €) qui peut participer au tournage avec fauteuil marqué à son patronyme. Parmi les donateurs, un jeune cinéphile de 23 ans a choisi le forfait maximal. Car, explique Pierre-Emmanuel Le Goff, «il a le projet de travailler dans le cinéma et souhaite participer au tournage. C'est un choix pertinent, à mon avis, par rapport aux stages ou aux coûteuses écoles de cinéma» . Entre Kusturica sous la neige et un huis clos sentimental post-Femis tourné en chambre de bonne, le choix peut effectivement s'avérer judicieux.

Déjà sur place, la réalisatrice Marie-Eve Signeyrole peaufine le scénario. C’est à elle que le film doit la présence du réalisateur d’Underground parmi la distribution. Elle avait assisté Kusturica dans la mise en scène de son opéra le Temps des Gitans, adapté de son film. Le planning de tournage très serré, causé par le départ de Kusturica au Mexique fin mars pour le tournage de son prochain long-métrage, est également dû au festival de Cannes. Le film devrait en effet être présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Pour finaliser le court, tourné en haute définition, et gagner du temps, le montage sera effectué sur place.

Les producteurs espèrent désormais pouvoir réunir assez d'argent pour achever le projet dans des conditions acceptables. Pour faire monter le buzz, ils ont réalisé une courte vidéo , diffusée sur le web, qui les présente littéralement à poil. Visiblement, le symbole est adéquat : «On a deux mois de loyer en retard, on bosse cent heures par semaine sans toucher le RMI» , confie Le Goff, qui imagine déjà la suite pour faire vivre le film. «On songe à faire monter un petit chapiteau de cirque, à Paris, sur une place, pour que les gens puissent le voir sur grand écran. En faisant payer 2 ou 3 euros l'entrée, on pourra peut-être rentrer dans nos frais.»

Une chaîne YouTube dédiée au film a été créée par les producteurs. Des mini making of, sorte de journaux de bord du tournage, y seront régulièrement postés. Une webcam devrait permettre aux internautes de suivre en direct l'avancée du film. On ne plaisante pas avec ses producteurs.

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