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Critique

Peintures sur Toile

Inspiré par Dali, Magritte ou Warhol, Rafaël Rozendaal expose ses oeuvres digitales sur son site.
par Laurent ROLLIN
publié le 1er juillet 2006 à 21h49

«J'étais assis à côté de Dali, on attendait le début d'un défilé de mode. Pendant ce temps, j'essayais de lui expliquer mon oeuvre. Mais il sourit poliment sans comprendre le sens de mon propos.» Ce rêve de Rafaël Rozendaal est une évocation symptomatique de son travail artistique. Cet artiste de 26 ans, à la double nationalité néerlando-brésilienne, fait de la peinture sur site Internet. Ou plus précisément propose des toiles digitales exposées en ligne. Son site regroupe une liste de noms de domaine qui fait office de catalogue de son activité numérico-picturale. Toutes les adresses URL pointent sur de simples animations Flash techniquement sans fioritures. Big Long Now, sa dernière production en date, présente une porte, cadrée en plein centre de l'écran, qui s'ouvre sur une infinité de clones. Le Net-regardeur peut les ouvrir ou les fermer à loisir. La fermeture engendre un bruit de claquement qui dépend de l'intensité de l'action. Sorte de mouvement perpétuel de l'instant, cette image interactive pastiche avec respect la Victoire de René Magritte. L'automatisme du geste confronte à un temps déterminé, irréductiblement lié aux gestes du quotidien.

Toute la production artistique de Rozendaal fait référence à la peinture du XXe siècle. Des toiles surréalistes de Dali, Magritte et Ernst aux représentations psychédéliques de Warhol et Roy Lichtenstein, l'artiste puise son inspiration dans les mouvements qui ont fait les avant-gardes du siècle passé. Le Net, cadre de travail et d'exposition, constitue le point névralgique de son propre développement. «Pour la plupart des artistes et designers que je connais, le Net n'est qu'un outil. Pour moi, il est sans doute plus important. Il me semble voir plus de choses à travers la fenêtre de mon navigateur Internet qu'à travers celle de mon appartement.» Inlassablement connecté, il parcourt la Toile en quête d'une substantifique matière (digitale) à exploiter.

Rozendaal appartient à cette génération d'artistes multimédias auto-identifiée sous le terme tiroir Neen. Cette appellation ­ lancée par Miltos Manetas en mai 2000, lors d'une performance dans une galerie new-yorkaise ­ désigne un ensemble de plasticiens visuels massivement liés au Réseau, utilisant la technologie comme prétexte à une somme d'expérimentations esthétiques et conceptuelles. Art-fusion, protéiforme et insaisissable, cette scène revêt toutes les formes modernes de notre communication globalisée. Structurée autour d'un manifeste, elle noyaute la création numérique plus institutionnelle et qualifiée par ses représentants de «Telic». Les événements intégralement estampillés Neen ne sont pas légion. «Le mouvement se fait volontairement discret, précise Rozendaal, tête copensante du collectif. Mais nous aimerions accueillir de nouvelles recrues, qui pourraient nous surprendre et porter le mouvement vers des dimensions que nous ne soupçonnons pas encore.» Prônant la non-affirmation de l'ego au profit de l'oeuvre, l'entité Neen avance drapée d'une rhétorique ouvertement communautaire. Enfants de la contre-culture, du divertissement généralisé et de la société mondialisante du spectacle, Rozendaal et ses homologues errent dans cette sphère du tout-informationnel à la recherche de leur quart d'heure de sens. La Neen-star de demain se cache peut-être derrière l'une des portes de votre voisinage.

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