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Libération

Pendant ce temps là, au e-G8 : «Wikipedia est un très gros éléphant»

par Christophe Alix et Alexandre Hervaud
publié le 24 mai 2011 à 15h43
(mis à jour le 26 mai 2011 à 16h49)

12h00

«Faut-il rendre l'Internet sûr pour la prochaine Lady Gaga ou pour le prochain YouTube, le prochain Skype?» demande un participant à la ministre de l'Economie Christine Lagarde à l'issue de la première table-ronde sur Internet et croissance. «Je pense qu'entre Lady Gaga et Skype, il existe un espace, pour que les créateurs et inventeurs aient droit à rémunération», répond-elle. Et de promettre très diplomatiquement de se faire «la messagère» au G8 de Deauville de ceux qui s'inquiètent des conséquences néfastes de l'Hadopi sur le développement de l'Internet. La ministre se désolidarise de l'une des propositions du panel susceptible d'être soumise aux chefs d'Etat du G8 selon laquelle «les gouvernements doivent garantir l'accès du public à l'Internet mais pas le réguler». Le patron de Google Eric Schmidt apparaît à mille lieues de Christine Lagarde et réclame au contraire moins de régulation. «Avant de chercher à légiférer, explique-t-il, il faut se demander s'il n'y a pas des technologies qui existent pour résoudre les problèmes. Car la technologie va plus vite que les lois.» Il cite en exemple les technologies qui permettent d'identifier un contenu piraté lorsqu'il est déposé sur internet. En fin de débat, il revient à la charge. «Le haut débit c'est la base, c'est là-dessus qu'il faut travailler. Les gouvernements doivent supprimer les obstacles au développement du haut débit avant tout, pas réguler les contenus.»

12h35

Trois des patrons les plus médiatisés de l'Internet français (Xavier Niel de Free, Pierre Antoine Granjon de Vente-privee.com et Marc Simoncini de Meetic) font leur show devant les journalistes en marge de l'eG8 et en profitent pour faire la pub de la future école qu'ils ouvrent en commun à la rentrée. Baptisé Ecole Européenne des Métiers de l'Internet (EEMI), elle s'installera dans l'ancienne bourse de Paris, au palais Brongniart et coûtera 9500 euros par an, un prix bien supérieur à d'autres établissements du même type comme l'Hetic. Pas très prolixes sur l'e-G8 - «on verra si ca peut enclencher des choses, tout dépendra de ce qui en sortira» dit l'un d'eux -, ils demandent en revanche au gouvernement «de leur faciliter les choses au niveau européen». «Les boîtes américaines ont un marché énorme, les chinoises encore plus alors que tout est très compliqué pour nous dès que l'on veut se développer en Europe, souligne Marc Simoncini de Meetic. Il n'est pas normal que certains soient super-avantagés en s'installant dans des pays où l'Union où le taux de TVA ou l'impôt sur les bénéfices est moindre qu'en France. Il faut aller beaucoup plus loin dans l'intégration européenne avec une fiscalité unique, un règlement unique, que la langue en définitive reste la seule différence et le seul obstacle à surmonter pour nous». Plus de régulation économique en somme.

13h30

C'est Lenôtre et ses toqués qui régalent le millier de participants de l'eG8. Les big boss de l'Internet mondial comme Eric Schmidt (Google), Craig Mundie (Microsoft) ou Mark Zuckerberg (Facebook) sont conviés pour leur part à l'Elysée pour un déjeuner présidentiel. Réflexion d'un patron de PME de l'Internet français très étonné de l'ambiance très VIP et géants de l'Internet de ce premier e-G8. «Normalement, un meeting Internet, ce sont des mecs en jeans, genre geek et on dépasse rarement les 40 ans. Il n'y a qu'en France que l'on puisse en faire une réunion de l'establishment, genre patrons du CAC40 aux tempes grisonnantes. Bon, sinon, ca permet toujours de networker». Pour distraire les pontes de l'économie française et leurs états-majors, la PME française Parrot propose des démonstrations de son AR Drone tandis que le fabricant de robots Aldebaran fait marcher son imposant Neo sur la grosse moquette de la tente des Tuileries. L'entrepreneur du Net Gilles Babinet, récemment nommé à la tête du nouveau CNN, le Conseil national du numérique est enthousiaste. «C'est génial qu'un événement comme ça ait lieu à Paris et c'est l'essentiel pour des gens comme nous. Tout le reste, la politique, la com, ça ne m'intéresse pas» .

15h05

Pendant ce temps là, au e-G8... Après une pause marquée par des ingestions diverses (un petit four par là, une remarque désobligeante sur le discours de Sarkozy par Tristan Nitot, président de Mozilla Europe par là), nous voilà fin prêt à affronter le panel Internet et Société, modéré par Maurice Levy. Le grand manitou de Publicis parle (un peu) mieux anglais que chinois .

Interrogée sur le rôle de Facebook dans les révolutions arabes, Sheryl Sandberg, directrice générale du réseau social, répond avec un certain sens des réalités : «sur Facebook, on observe des millions de communautés motivées par des intérêts divers. Il y a des gens qui font savoir qu'ils adorent marcher sur des feuilles mortes qui craquent, d'autres qui partagent des photos, d'autres qui lancent des révolutions. Nous, nous ne faisons que la technologie, et le fait qu'elle soit utilisée pour des choses futiles comme pour des choses importantes au niveau démocratique démontre le pouvoir de cette technologie» .

DR

Assez étrangement, Maurice Levy glisse dès sa première question à Jimmy Wales, co-fondateur de Wikipedia, la problématique du droit à l'oubli, en évoquant ces gens qui n'apprécient pas trop voir leurs anciens faits de gloire exposés sur la Toile contre leur gré. Belle réponse du représentant de l'encyclopédie collaborative : «vous savez, il est dit qu'un éléphant n'oublie jamais. Et bien Wikipedia est un très gros éléphant» .

Les intervenants de Groupon, Reuters et Orange / France Telecom font à leur tour un laïus sur leurs boîtes qui fait dire sur Twitter à l'ex-TF1 boy Jérôme Bourreau Guggenheim : «quel ennui de suivre le #eg8 ! aucun débat, les multinationales ne font que faire la promotion de leur business» . Ah depuis qu'on bosse plus au pays de Navarro et Secret Story, on se lâche hein ! Bon, on pense pareil en fait.

Stéphane Richard, le boss d'Orange, parle de neutralité du Net et tacle le principal moteur de recherche au monde : «c'est un débat pour tout le monde, pas que pour les opérateurs. Si aujourd'hui vous allez sur Google, que vous cherchez Net Neutralité, les premières réponses sont des théories un peu inspirées par Google... Donc en matière de neutralité, on ne peut pas parler que de technique» . Mélange entre neutralité de résultats de recherches et bande passante, on appelle ça noyer le poisson pané en toute beauté.

15h40

La sécurité est à deux doigts de monter sur la scène prise d'assaut par un petit vieux mais s'arrête à temps : le vénérable monsieur n'est pas un passant qui nourrit les pigeons aux Tuileries perdu mais Rupert Murdoch, venu parler de «la nouvelle frontière numérique : l'éducation». Sachant que le dictionnaire comptait exactement 298 mots lorsque Rupert est né, en 1931, le mogul semble être tout à fait adapté pour évoquer l'enrichissement personnel. Il ne fait toutefois pas partie du panel de la table ronde suivante intitulée Future Net : what's next ? . Tsss, quel jeunisme. Précision : sur la capture d'écran ci-dessus, il ne s'agit pas de vitres pare-balle mais bien de prompteurs bilatéraux à la cool popularisés par Obama. Pépé Rupert parle de moyens en ligne pour apprendre à faire des fractions, genre avec un tuteur (du jamais vu !), mais aussi avec des iPhone, des iPad, bref, de belles suggestions pour maintenir en bons termes ses relations avec Steve Jobs. Et vus les résultats calamiteux de son quotidien exclusivement sur iPad, on peut faire confiance à Rupert.

16h20

C'est bientôt l'heure du goûter. A posteriori, on est peut-être passé pour de fieffés râleurs plus tôt ou dans de précédents articles. On peut aussi reconnaître les vertus indéniables de l'e-G8 : les toilettes sont particulièrement classe, ambiance boisée façon je fais pipi dans un chalet. Pas sûr que cette remarque fasse avancer le débat, certes. Pas sûr que l'e-G8 fasse mieux cela dit. Pendant qu'on testait les latrines, on a semble-t-il raté une perle du PDG de Capgemini, Paul Hermelin, qui à en croire un collègue de Numerama , a sorti cette phrase : «la vie privée c'est fini, c'était une parenthèse dans l'Histoire de l'Homme» . C'est la CNIL qui va être contente. Dans un communiqué publié aujourd'hui, la Commission «regrette l'absence de tout régulateur des données personnelles et de la vie privée ainsi que des associations de défense des libertés ou des consommateurs alors même que ce thème figurerait au programme» . On la sent, l'aigreur des losers sans accrèd, hein.

17h40

Le moment fort de la journée attendu par tous débute ! Pensez-donc, une table ronde baptisée «la propriété intellectuelle et l'économie de la culture à l'ère numérique», avec, Antoine Gallimard (Chairman and CEO, Editions Gallimard), Jim Gianopulos (20th Century Fox), Frédéric Mitterrand, Hartmut Ostrowski (Bertelsmann AG) et l'universel Pascal Nègre. Le DJ en charge d'ambiancer la chose est Bruno Patino, en charge du numérique à France Télévisions. Avant de commencer, sachez que le discours de Nicolas Sarkozy a beaucoup plu à la SCAM (société civile des auteurs multimedia) qui a écrit dans un communiqué : «la géométrie variable de la Toile, à la fois outil planétaire et accumulation de micro-communautés, nécessite une régulation dans la concertation que la Scam appelle de ses vœux» .

Frédéric Mitterrand est un blagueur : il évoque cette table ronde sous le terme «débat». LOL. Une fois de plus, il évoque l'intérêt d'Hollywood pour Hadopi, minimise le bien fondé de l'opposition à la loi, fustige qu'on ne présente la Haute Autorité que sous l'angle répressif «qui n'a même pas encore commencé» . Interrogé par Patino sur une phrase d'Eric Schmidt déclarant que les lois ne peuvent pas s'adapter à la technologie qui évolue vite, Mitterrand confie que dans le jeu du gendarme et du voleur, les premiers arrivent bien à rattraper les seconds. On ne sait pas s'il faut y voir une référence à De Funès ou à Michael Mann.

Interrogé sur le fait que le trafic de Netflix surpasse celui du peer-to-peer aux Etats-Unis, Gianopulos dit ne pas avoir reçu le mail le prévenant qu'Hollywood avait gagné la bataille du piratage. Il évoque la possibilité d'adapter des solutions façon Hadopi de manière volontaire avec les acteurs du Net sans forcément avoir de loi votée, les gouvernements n'étant finalement qu'une solution de dernier secours.

Oh mais on a oublié un intervenant non inclus sur le programme officiel ! Le très cool John Perry Barlow, co-fondateur de l'Electronic Frontier Foundation, applaudi à tout rompre ( «c'est pas le genre de public auquel je m'attendais !» ) quand il s'est mis à démonter le type d'invités choisis par l'e-G8 et la vision des autres panélistes.

On n'avait pas entendu Pascal Nègre. Le voilà qu'il parle. Si vous avez lu un article, vu un reportage ou écouter une émission de radio sur le sujet du piratage en France depuis 2007, vous avez forcément déjà entendu ce qu'il est en train de dire.

«Si les films de Pasolini s'étaient retrouvé gratuits sur Internet, il n'aurait jamais refait de film !» Diantre, Fredéric, ton argument est invalide. Michael Bay se fait pirater mais le bougre tourne encore.

Dans la salle, beaucoup de mains levées pour poser des questions. Et c'est le usual suspect Jérémy Zimmermann qui lance les hostilités en s'adressant à Mr 20th Century Fox que ne lui en déplaise, les gens qui piratent des films en peer-to-peer sont aussi des consommateurs, voire même plus réguliers que les autres comme le prouvent des études (dont celle de l'Hadopi !).

Alors qu'au moins 98 personnes avaient le bras levé pour poser une question, le débat qui n'en était pas un s'interrompt, faute de temps. Ce matin, Maurice Levy et Nicolas Sarkozy parlaient du e-G8 comme d'un «évènement historique» . C'est drôlement bien parti.

(mis à jour avec les contributions de la journée vue par Christophe Alix)

Lire la suite : Pendant ce temps-là, au e-G8 : journée 2

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