Critique

«Persepolis» anime Téhéran

par Didier Péron
publié le 24 mai 2007 à 7h55

Depuis quelques jours, les échanges d'amabilités entre l'Iran et la France alimentent le buzz sur Persepolis, adaptation des bandes dessinées autobiographiques à succès de Marjane Satrapi, réalisé par elle-même (et Vincent Paronnaud). «Cette année, le Festival de Cannes a sélectionné un film sur l'Iran qui présente un tableau irréel des conséquences et des réussites de la révolution islamique», a écrit une organisation dépendant du ministère iranien de la Culture. Dans ce courrier à l'attaché culturel de l'ambassade de France à Téhéran, Cannes se voit accusé d'être un «acte politique ou même anticulturel». Le Quai d'Orsay a fait savoir que les sélectionneurs cannois ne travaillaient pas sous la surveillance du gouvernement français.

Ovation. On peut comprendre que les autorités de la république islamique s'énervent tout rouge de se voir représenter devant la presse internationale esbaudie avec aussi peu d'égards. La projo de gala hier après-midi s'est terminée par vingt minutes de standing ovation devant une Marjane Satrapi en larmes.

Jusqu'à présent, Cannes a toujours accueilli des films iraniens sensibles, produits in situ et ayant passé outre aux validations du comité de censure (Kiarostami, Makhmalbaf, Panahi...). Films qui, s'ils pouvaient éventuellement hérisser le pouvoir des mollahs, n'étaient jamais une évocation directement à charge de la Révolution de 1979 et ne traitaient jamais aussi frontalement de l'obscurantisme infantilisant qui s'est abattu sur la société iranienne depuis bientôt trente ans.

Quand on voit la jeune Marjane voilée à l'université de Téhéran apostropher ses «frères» en leur demandant pourquoi eux qui professent la stricte observance du hijab noir pour leurs «soeurs» ont le droit de «porter des habits parfois si collants qu'on peut voir leurs sous-vêtements à travers», la théologie peut aller se rhabiller parce que c'est le genre d'argument qui devra mettre tout le monde d'accord. Or on sait, hélas, qu'il n'en est rien.

Née à Téhéran en 1969 sous le régime du chah dans une famille de militants communistes, Marjane Satrapi a connu le basculement révolutionnaire, les heures sombres de la guerre Iran-Irak avant d'être expédiée par ses parents dans une école privée catholique à Vienne. Revenue en Iran après une dépression suite à une déconvenue amoureuse, elle découvre qu'en dépit des années écoulées le régime ne faiblit toujours pas et que les miliciens de la vertu, les affreux pasdaran, écument la ville pour traquer la moindre mèche de cheveux ou empêcher les filles de courir dans la rue parce que ça fait bouger leurs fesses de manière impudique.

Persepolis ridiculise l'Iran de la dictature islamique, mais Marjane Satrapi n'est pas une caricaturiste. Elle attaque par l'anecdote, le souvenir émouvant mais raconté sans aucun sentimentalisme. Son séjour autrichien, période pendant laquelle elle fréquente une bande de punks nihilistes et de doux rêveurs, n'est pas une période particulièrement heureuse. Elle épingle avec le même humour les travers de la société occidentale nantie et le recul des droits individuels dans son pays natal en proie aux démons d'une idéologie bornée.

Atypique. Tourné à peu près entièrement en noir et blanc, adaptant pour l'écran la simplicité élégante du coup de crayon de Satrapi, Persepolis propose à l'intérieur de la catégorie chaque jour plus riche du dessin animé un nouveau genre, très atypique puisque les enfantillages d'une gamine y coexistent avec des apparitions de Marx, des problèmes de puberté avec des exécutions d'opposants politiques. A mi-parcours, Persepolis pourrait être la surprise qui tape dans l'oeil du jury.

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