Petits doutes sur le petit nouveau

par Catherine Maussion
publié le 5 novembre 2011 à 9h57

La casse des prix est-elle possible ?

Avec ou sans engagement, avec ou sans mobile, illimité à tout petits prix… Les concurrents ont allumé les contre-feux. SFR s'est lancé le premier avec ses offres Carré, juste avant l'été. Un mois plus tard, Bouygues Telecom lui emboîtait le pas en dégainant ses B&You.; Et Orange de suivre avec sa marque Sosh. Stéphane Richard, le PDG, dit toutefois à propos de Sosh qu'il ne pense pas qu'une offre «même hypersimple, puisse satisfaire tous les consommateurs» . Quinze jours après son lancement, Sosh avait tout de même rallié 7 500 clients. Bouygues insiste de son côté sur la cible de B&You; : la clientèle autonome qui fait tout sur Internet, dépannage compris.

Chez Free, on s'amuse de toutes ces précautions. Et on balaie d'un revers de main les rumeurs -- la carte SIM offerte aux 4,5 millions d'abonnés ADSL ou un premier forfait à 5,99 euros. «Il y a quatre personnes dans la confidence» , insiste Xavier Niel. Dans l'équipe de Free Mobile -- 150 personnes --, aucun des managers n'a la vision du jeu de construction qui sera révélé sous peu. La cible, elle, tient sur une feuille A4 couvée du regard par le PDG : sur les 63,4 millions de Français qui utilisent un mobile, 25,4 millions étaient libres de tout engagement en juin…

Et Free maintient qu’il a de quoi casser les prix avec sa structure légère et ses équipes motivées. La baisse du prix de gros de la minute lui donne même des ailes : il a diminué de 92% en dix ans et sera divisé par deux (à 0,8 centime d’euro) en 2013. A l’affût du moindre avantage, Free a demandé un coup de pouce au régulateur, en plaidant son statut de nouvel entrant.

Des réserves de cash suffisantes ?

En septembre, Free a cassé sa tirelire et raflé au prix de 271 millions d’euros l’un des meilleurs lots pour le futur réseau 4G (mobile à très haut débit). Début décembre, une seconde fournée d’enchères portant sur des fréquences dites en or, plus coûteuses encore, sera lancée. Mais Free n’a pas décidé s’il se mettait sur les rangs. Il ne croule pourtant pas sous les fréquences -- il en a trois fois moins qu’Orange ou SFR. Au point que certains persiflent qu’il en manquera un jour, compte tenu de ses ambitions.

Et voilà que le trublion freine à présent dans la fibre. Il vient de rendre leur liberté à plusieurs centaines de milliers de copropriétaires qu'il était allé démarcher pour fibrer leur immeuble. Est-ce un signe des limites financières d'Iliad, la maison mère de Free, alors qu'il vient de lever sur les marchés 500 millions d'euros ? Stéphane Dubreuil, du cabinet Sia Conseil, pondère : «Il est l'opérateur le moins endetté d'Europe. Et sa marge (40%) est la plus grosse du secteur.» On peut y voir aussi la patte d'un patron un peu rapiat. «On a rendu des immeubles, mais l'objectif est le même [4 millions de logements raccordés fin 2012, ndlr].» Free louera la fibre tirée dans les cages d'escaliers par d'autres, après avoir fait ses calculs. De même, l'opérateur se défend d'être à court de fréquences : «S'il y a pénurie de fréquences pour un acteur et qu'un autre visiblement en a trop, le régulateur a la capacité d'intervenir» , rappelle-t-on, même si la disposition n'a encore jamais été utilisée.

Chez Free, on se rengorge aussi de ne pas verser de dividendes. Ou si peu : 20 millions d'euros l'an dernier, soit un rendement inférieur à 0,5% du capital, «contre 70 à 100% chez nos concurrents !» rappelle Maxime Lombardini, directeur général. Tout est investi : «On fait de la croissance.» Seul geste pour motiver ses troupes, Iliad a distribué 300 euros de prime à ses salariés gagnant jusqu'à 36 000 euros, et 140 euros au-delà. Pas vraiment le jackpot, mais le gouvernement qui a donné le feu vert au quatrième opérateur mobile, appréciera.

Une couverture déficiente ?

À Paris, la mairie recense à ce jour 70 délibérations en cours à propos de Free, concernant l’installation de ses antennes sur les bâtiments publics. Comparé aux réseaux, à Paris, dont disposent ses concurrents, Orange, SFR et Bouygues Télécom (1 090 antennes et presque autant de petites antennes, dites «micros»), c’est… microscopique.

Même grand écart à l’échelle de la France. Pour situer l’effort considérable que Free doit fournir, ses concurrents en ont déployé entre 70000 et 80000 ! Or, selon le dernier pointage de l’Agence nationale des fréquences, seulement 1 082 accords ont été délivrés à Free sur le territoire métropolitain, et 258 implantations sont en cours d’instruction.

Pour faire taire les sceptiques, Niel fait visiter le vaste plateau où s'affairent les équipes «radios». Il se vante d'avoir fait raccrocher le chef des infrastructures de SFR, parti à la retraite. On demande à voir l'embryon de réseau sur une ville (exemple Calais) et, illico, l'ingénieur zoome sur son écran et fait apparaître une zone constellée de tâches rouges, preuve de la couverture de la zone. «Nous avons commandé 5 000 zones de recherche» , assure-t-on chez Free. À ne pas confondre avec 5000 points hauts identifiés et opérationnels.

Son intérêt, dit-il, est bien de s'affranchir au plus vite d'Orange dont il loue très cher le réseau 3G (1 milliard d'euros sur six ans). Sa seule obligation réglementaire : couvrir par ses propres moyens 27% de la population le 12 janvier. Et 90% six ans plus tard. Sera-t-il prêt ? Niel évacue la question : «Iliad est cotée en Bourse. S'il y avait le moindre doute, nous aurions déjà prévenu les marchés.»

Sans points de vente, point de ventes ?

Les recettes de l'ADSL valent-elles pour le mobile ? Dans l'entourage de Niel, on en convient à demi-mot : l'innovation sur le mobile ne sera jamais aussi colossale que la télévision sur l'ADSL, ou encore la voix sur IP, deux inventions de Free qui concernent 100% des gens. Des boutiques ? Free s'en était passé pour le fixe. Il teste leur utilité pour le mobile à Rouen et à Troyes. «Cela peut aider si on vise 25% de parts de marché» , en convient l'opérateur. Stéphane Richard, le patron d'Orange rappelle sa force de frappe : «Plus de 43 000 salariés face aux clients, 1 000 points de vente et une puissance d'achat unique pour les terminaux [32 millions d'unités avec Deutsche Telecom, ndlr]. Nous attendons Free en misant sur ces atouts.»

Les plateformes d'appel, talon d'Achille de Free sur l'ADSL, sont l'autre pilier pour fidéliser l'abonné au mobile. Les mauvaises langues disent : «Free bascule ses centres d'appel au Maroc…» Faux, rétorque un délégué syndical : «Nous sommes dans une énorme campagne de recrutement. À Bordeaux et Marseille, [450 conseillers sur chacune des plateformes], on nous change le mobilier pour mettre encore plus de monde.»

Free mobile vient d'ouvrir un centre d'appel à Vitry-sur-Seine (600 emplois), près de Paris. Un second est prévu en Ile-de-France. Même afflux au siège de l'opérateur, à Paris (VIIIe). «On était 398 salariés chez Centrappel, [la plate-forme parisienne]. On sera 700 avant la fin de l'année.» Pour loger les équipes du mobile, Iliad a annexé l'ex-siège de GDF-Suez, qui jouxte ses locaux. Pied de nez à ceux qui caricaturent Free en opérateur low-cost : «Nos fenêtres donnent sur Hermès.»

Paru dans Libération du 4 novembre 2011

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