Pflimlin : après la demi-redevance, la dèche totale

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 19 octobre 2012 à 10h32

L'indice «couac» a fait un sacré bond hier : entre 50 et 100 millions d'euros, selon les sources. C'est en effet le prix à payer pour la nouvelle et invraisemblable boulette gouvernementale sur la redevance audiovisuelle, et c'est France Télévisions, aux finances déjà sérieusement rabotées par l'équipe Ayrault, qui risque d'en faire les frais, augurant un plan d'économies intenable.

Le 28 septembre, coup de bambou à France Télévisions lors du dévoilement du projet de loi de finances (PLF) pour 2013 : 86 millions d'euros en moins pour le groupe, seule entreprise de l'audiovisuel public à devoir participer à l'effort de rigueur général. Dans les comptes de France Télévisions, ces 86 millions en moins viennent creuser le trou déjà pratiqué par le manque-à-gagner de 50 millions d'euros (minimum) en recettes publicitaires. Mais voilà que, mercredi dernier, le groupe socialiste à l'Assemblée nationale vole à la rescousse de la télé publique. Le député Patrick Bloche propose deux options à ses pairs : soit 2 euros de plus que les 4 euros d'augmentation prévue pour la redevance (un coup de pouce ou plutôt d'auriculaire de 2 euros en plus des 2 euros du coût de l'inflation) ; soit une demi-redevance élargie aux résidences secondaires (et la redevance principale qui n'augmente que de l'inflation, soit 2 euros). Les députés socialistes votent pour la seconde option. Et dimanche, la bénédiction tombe carrément de Bercy : «Le gouvernement est favorable à cet amendement parlementaire» , approuve le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, pourtant chatouilleux sur le sujet de la redevance (en septembre, il lui avait préféré le retour de la pub sur France Télévisions, avant de se faire -- déjà -- recadrer par Jean-Marc Ayrault).

Bref, à France Télévisions, on souffle : sur les 110 millions d'euros engrangés par cette demi-redevance, la télé publique pourrait en récupérer entre 70 et 100 millions. Si son président, Rémy Pflimlin, ne compte pas se refaire totalement la cerise, ses services évaluent les économies à faire en conséquence entre 75 et 100 millions d'euros. «Quoi qu'il arrive, un plan d'économies sans précédent dans l'histoire de France Télévisions» , précise tout de même l'entourage de Pflimlin. Et hier matin, sur Europe 1, badaboum : Ayrault retoque la demi-redevance pendant que, simultanément sur France Inter, Cahuzac avale son boa. Et ni l'un ni l'autre n'évoque la moindre solution alternative. Voilà France Télévisions payant l'addition du lifting du Premier ministre en néo-méchant.

Depuis hier matin, chez Pflimlin, on est pendu au téléphone. Avec le ministère de la Culture, avec Matignon, avec l'Élysée, avec les députés socialistes. «La marche est trop haute» , voilà le message. Car sans la demi-redevance, le plan d'économies passe du simple au double : il faut désormais trouver de 150 à 200 millions d'euros. Et ça risque de faire mal : Pflimlin doit renégocier le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions avec l'État. «Le trou créé est trop important» , indique-t-on au siège de la télé publique où l'on peste contre le «cafouillage» gouvernemental. «Avec la demi-redevance , analyse un cadre, on adoucissait les conséquences sur la création et l'emploi. Là…» Points de suspension lourds de sens : faut-il transformer le plan de départs volontaires de 500 personnes et plus, déjà enclenché, en une charrette bien plus garnie ? Les effets d'un coûteux plan social ne se ressentiraient pas immédiatement sur les comptes du groupe. Faut-il taper dans le gros gâteau de la création audiovisuelle de 420 millions d'euros et se mettre à dos tous les producteurs ? Délicat. Telles sont les patates chaudes que livre Pflimlin au gouvernement : si vous me coupez les vivres, faut assumer, les gars.

Dans les rangs parlementaires du PS, ça râle sec : «Là, on est en train de mettre une entreprise publique en déficit. Et maintenant que le Premier ministre est intervenu, on ne peut plus rien faire.» Il en est un qui doit bien rigoler dans sa barbe de trois jours : c'est Nicolas Sarkozy, dont la décision à la va-vite de supprimer la publicité sur France Télévisions est à l'origine du foutoir actuel. La puissante CGT du groupe public s'interroge d'ailleurs déjà, dans un tract publié hier : «Hollande dans les pas de Sarkozy ?» Le point d'interrogation est diplomatique.

Paru dans Libération du 17 octobre 2012

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