Pierre Mounier : sabre au Net

par Anastasia Vécrin
publié le 11 juin 2012 à 11h20
(mis à jour le 11 juin 2012 à 11h23)

A l'abordage ! Le Parti pirate débarque dans les bureaux de vote : 101 candidats dans 37 départements. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Rien à voir avec l'Ile au trésor de Stevenson ou les Contes de pirates de Conan Doyle, mais plutôt avec le monde d'anticipation de William Gibson. Férus d'Internet, ces flibustiers de la Toile parlent le geek, langage hermétique et prolifique en néologismes et anglicismes. Ils post, tweete, poke, retweete, hack, follow , sont rarement AFK ( Away From Keyboard ), guère IRL ( In Real Life ) et pratiquent assidûment les MMO (jeux en ligne massivement multijoueurs). Un temps que les plus de 20 ans ne peuvent pas connaître ? Pas vraiment.

Rencontre IRL avec Pierre Mounier, 41 ans, passionné par les enjeux politiques liés au numérique et candidat dans le XXe arrondissement de Paris . Monsieur 2.0 anime un nombre incalculable de sites, possède une page Facebook bien garnie et a posté 7452 tweets. Exorbités, ses yeux attestent de cette hyperactivité. Cheveux courts, chemise repassée, tête de premier de la classe, Pierre Mounier n'a rien d'un filou. Pourtant, il a d'abord tenté de détourner cette page Portrait, en proposant une double interview online avec son suppléant David Dufresne, journaliste indépendant passé par Libération , vieux loup de mer du Net, désormais installé à Montréal. «Lui ou moi, c'est la même chose. Nous défendons une dimension "glocale", locale et globale. Un individu n'est pas une monade. Il est à la fois enraciné et en réseaux, il vibre avec le reste du monde.»

Pour Pierre Mounier comme pour le Parti pirate français, ces élections constituent l’épreuve du feu. Les résultats de leurs camarades allemands, 8,9% des voix aux régionales de Berlin, sont plutôt de bon augure. Ce sont des «candidats citoyens» -- étudiants, mères de famille, des gens ordinaires, vierges de toute expérience politique. D’ailleurs, le plus jeune candidat aux législatives, âgé de 18 ans, est un moussaillon des Pirates qui a fait campagne avec zéro euro. Pierre Mounier et son suppléant ont partagé la note de 3000 euros pour imprimer les circulaires, quelques affiches et les bulletins de vote.

Essentiellement anti-Hadopi, ils ont pour mots d'ordre la légalisation du partage en ligne, la lutte contre le fichage abusif, l'indépendance de la justice, la transparence de la vie politique et l'ouverture des données publiques. Une horde de grippe-sous assoiffée d'informations, de séries TV ou de jeux vidéo ? Pierre Mounier s'en défend : «Nous ne défendons pas la gratuité complète. Mais les modèles économiques du Net ne peuvent plus se baser sur la restriction. L'avenir, c'est le Freemium, la gratuité et des services payants. À chacun d'être inventif.» Les pirates regrettent une dérive du droit d'auteur sans prôner pour autant son abolition : «Il faut un rééquilibrage entre la nécessaire protection des auteurs et les intérêts légitimes de la société.» Contre la licence globale qui propose de répartir les subventions en fonction des téléchargements, ils considèrent que les utilisateurs devraient pouvoir décider eux-mêmes de la clé de répartition. Une bien belle idée dont ils se gardent de préciser les détails de mise en œuvre.

Fonctionnaire du Centre pour l'édition électronique ouverte (Cléo), un organisme public qui accompagne des projets d'édition électronique en sciences humaines et sociales, Pierre Mounier a découvert l'existence du parti il y a moins d'un an : «J'y ai trouvé un système de démocratie interne qui m'a enthousiasmé. Les réunions ont lieu sur Mumble, une tchat-room, qui permet aux adhérents de participer aux discussions. Il y a dans l'ADN du Parti pirate cette forme d'ouverture qu'il faut à tout prix conserver tout en posant des règles.» Après avoir hacké la Toile, ils veulent hacker la politique, s'introduire dans le système pour le réformer. Avec un but ambitieux : réduire le fossé entre représentants et représentés par la «démocratie liquide» , un système de consultation en ligne où l'on peut déléguer temporairement son vote à un expert. «Nous inventons une nouvelle culture. Avec cette candidature, je veux établir un lien de délibération avec les habitants de ma circonscription. Sans écarter les professionnels de la politique, redonnons un réel pouvoir aux citoyens.» Un air de famille avec la démocratie participative de Royal, ou la «révolution citoyenne» de Mélenchon ? Il rigole : «C'est une blague ! Il n'y a aucune démocratie interne au Front de gauche.»

Le Parti pirate ne se mouille pas. Il se refuse à prendre position sur des sujets qu'il ne maîtrise pas, d'où la pauvreté de leur volet économique et social. L'accent est mis sur la méthodologie, l'organisation de la concertation. Quand on l'interroge sur le programme numérique de François Hollande, Pierre Mounier prend un air désabusé : «C'est n'importe quoi. Il a nommé Fleur Pellerin qui n'y connaît rien. Juan Branco, ancien conseiller d'Aurélie Filippetti, a été congédié. C'est une catastrophe. Toutes les nominations qui ont été faites sont en faveur des industries culturelles. Ces gens vivent dans un autre monde et n'ont aucune conscience des évolutions en marche.»

Pierre Mounier milite pour une plus grande démocratisation de la culture et de la connaissance. Pas étonnant pour un amoureux des lettres, biberonné à la culture classique. Une famille de la classe moyenne supérieure, une scolarité au collège Stanislas qui laisse des marques : «C'était l'horreur, on était encadrés par des curés et des fachos. Les professeurs ont décidé de ma vocation pour le latin et la littérature.» Son parcours scolaire est exemplaire : hypokhâgne, khâgne, Normale supérieure. Son intérêt pour les nouvelles revendications l'incite à militer chez les Verts. Et puis vient l'épreuve de l'agrégation : «Là, j'ai explosé en vol. J'avais déjà bousillé trois ans de ma vie pour entrer à l'ENS, je ne voulais pas perdre mon temps à jouer les bêtes à concours.»

Curieux de tout, le bosseur se lance dans l'anthropologie, apprend le haoussa, une langue africaine. Il ne termine pas sa thèse. Finalement, ce père de deux enfants, marié à une prof de lettres, enseigne les lettres au collège et au lycée et commence son travail d'exploration de la galaxie numérique. Il pérégrine sur la Toile où il rencontre une communauté accueillante, celle du Mini-Rézo , une association informelle de webmestres : «Contrairement aux idées reçues, l'humain est très présent sur le Net. Il y a de l'entraide, de la bienveillance, de l'écoute et aussi des engueulades !» Comprendre son époque, tel est le leitmotiv de Pierre Mounier. Il ne se pose pas la question de son succès aux législatives. Dans ce conflit de génération, cette guerre entre conservateurs et libéraux, il veut être un pont, un médiateur entre deux mondes, deux idéologies.

Paru dans Libération du 8 juin 2012

Mise à jour du 11 juin : Pierre Mounier a récolté 821 voix dans sa circonscription, ce qui représente le score -- exceptionnel pour le Parti pirate ! -- de 1,94%. Sur la centaine de candidats présentés, seuls deux ont obtenu plus de 2% des suffrages, mais 22 ont dépassé la barre de 1%.

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