Bourre-Paf

Pine d’huître, il a pas de «Grand Journal»

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 30 août 2013 à 19h06

Pour l'Express, c'était «décevant» et il était «crispé». Hihi. Le Figaro, lui, a trouvé ça «maigrichon» et a fait part de son «amertume». Mouarf. L'Obs a jugé l'affaire «regrettable», brocardé sa «banalité» et «l'ennui» ressenti. Ha-ha-ha ! Le Monde n'a pas hésité à parler de «faux départ»et l'un des journalistes du vénérable quotidien, interrogé sur France Inter (redoutable combo médiatique), a carrément parlé d'«arnaque». Et ces nazes de Libération : «Une capilotade.» Hi-Hi-Ha-Ha-Ha-Ha, nan mais arrêtez, on est en train de se faire pipi dessus. Nous n'aurons qu'un mot, ou plutôt quatre : bravo, Antoine de Caunes. Si, si, bravo. Recueillir sitôt le premier numéro du Grand Journal une telle dégelée, c'était inespéré. D'autant que chaque éreintement était systématiquement accompagné d'une languide mélopée en forme de regrets énamourés à l'attention de l'animateur, pardon, d'«Antoine». Il a bien réussi son coup, le bougre. Oui, réussi. Ah, parce que vous n'aviez pas compris ? Mais enfin, c'était un canular, voyons. Un immense gag, une impitoyable satire. On voit bien, à votre air idiot, que vous y avez cru, au Grand Journal tout pourri version de Caunes. C'était pourtant un peu gros.

La farce du concept

Pensez-vous vraiment que Canal + aurait laissé Antoine de Caunes partir à l'abattoir comme ça, dans un décor presque similaire à celui du Grand Journal, sans même changer le générique cubisto-bondissant, ni le remix so 2012 de Superstition par C 2 C, sans songer à un nouveau titre d'émission ? Non mais on est chez Canal + quand même, des pros, pas des Mickey. De même, aurait-on dû se méfier : Jean-Michel Aphatie, celui-là même dont l'insupportable goût de la petite phrase cristallisait tant les charges contre l'émission époque Denisot, est toujours là. Arf. Mais, pour parfaire sa farce en forme de critique autoparodique et acrimedienne d'un dévoiement de la politique par l'entertainment, De Caunes a ajouté pas moins de trois autres chroniqueurs spécialistes de la chose : Hélène Jouan, Karim Rissouli et… Jeannette Bougrab ! Oui, l'ex-ministre UMP Jeannette Bougrab, dont l'apport à l'émission, au mieux confus, au pire inutile, illustre à merveille la charge d'Antoine de Caunes contre la peoplisation du politique. Nous, on aurait mis Nadine Morano, mais Bougrab, c'est plus fin.

Le gag des invités

Après avoir, les jours précédant sa prise d'antenne, vanté à longueur d'interviews la rupture qu'il allait pratiquer avec le Grand Journal version Michel Denisot et son «entre soi»(c'était dans le Monde), Antoine de Caunes a reçu le lundi, dans la première partie consacrée à l'actu, Manuels Valls. Et le mardi ? BHL, carrément. Mercredi ? Michel Sapin. Rhôôô… Histoire d'ajouter à la blague, le premier jour, face à Valls - qui s'est fait autant lustrer qu'à l'époque denisotienne -, l'animateur est resté coi, ou presque. Et le lendemain, à un BHL venu causer cassage de gueule de Bachar el-Assad, De Caunes s'est amusé à projeter une carte où étaient inversés Syrie et Irak. Est-il facétieux. Et vachard aussi avec ses questions parodiques destinées à brocarder celles de Denisot. A Léa Seydoux, il a ainsi lancé : «C'était comment de tourner dans une véritable centrale nucléaire ?» Dans la deuxième partie, celle de la déconne où Canal + promet du late-show à l'américaine écrit par une batterie d'auteurs au service à la fois de De Caunes et de l'invité complice, ont été reçus lundi et mardi - faut bien enfoncer le clou - Benoît Poolvoerde puis François Damiens. Oui, deux acteurs belges, patrie du canular s'il en est. Et ça ne vous a pas mis la puce à l'oreille ? Tss.

Le sketch des doublons

Amateurisme, redites, panouilles… Le machiavélisme mis en œuvre par Canal + pour nous faire prendre des lanternes pour des vessies est redoutable. Le premier soir, De Caunes lance une séquence où un journaliste tente de faire dire du bien de Valls aux ministres socialistes à La Rochelle. Et une heure plus tard, Yann Barthès balance un gag identique dans le Petit Journal. Et mercredi, voilà De Caunes entamant son monologue d'intro par le «J'ai fait un rêve» de Martin Luther King et Barthès faisant de même aussitôt après. Léa Seydoux au Grand Journal ? Léa Seydoux au Petit. Et on passera sur la paire ministre du Travail-chômeur chez De Caunes le soir mais déjà sur BFMTV le matin ou les deux élues marseillaises essorées l'an dernier à l'étal de Denisot : si tout ça n'avait été une mystification, ça l'aurait fichu mal pour une émission tant attachée à l'exclusivité de ses invités.

La blague de l’humour

Enormes, les ficelles ? Tu parles : des cordes à gros nœuds bien voyants : le gondolant Pine d'huître (mais si, le scout à qui ses copains serinaient «Pine d'huître, il a pas d'organe») revient et seule la demoiselle de la météo nous arrache un sourire ? Mais bien sûr… Après, on ne se refait pas et De Caunes n'a pas pu s'empêcher d'être un peu poilant, au risque de dévoiler le pot aux roses. Mais une réalisation brouillonne et un faux rythme laissant des blancs à l'antenne ont fait tomber les bonnes vannes à plat. Ouf. Pareil pour les sketchs auxquels participent les invités : assez gentille, Léa Seydoux campant une Oula Seydur, actrice de porno ; plutôt plaisant, Tahar Rahim saisi par le démon jacksonien de la danse. Heureusement, des lancements savamment lourdingues ont vite fait de tout saboter, d'autant que le plateau du Grand Journal, écrin à promo profondément inscrit dans la rétine, finit de tuer toute velléité de décalage et de second degré. Du grand art.

La fin du canular

Nous sommes en mesure de vous le révéler : dès lundi 19 h 10 - plutôt 11 -, c'en sera fini d'une semaine de canular. Sabordé d'un grand coup de larsen, le générique branchouille. Dynamité, le plateau, nid à complaisances. Haché menu, le chroniqueur littéraire Augustin Trapenard à qui De Caunes interdit le mot «âpre», le réduisant du coup définitivement au silence. Expédiés sur le périphérique pour y présenter l'Heure de vérité, Aphatie et Bougrab. Les lumières du nouveau plateau s'allument. Mesdames et messieurs : Antoine de Caunes !

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