Pinterest : un coup d'épingle dans le droit d'auteur

par Camille Gévaudan
publié le 26 mars 2012 à 19h11
(mis à jour le 26 mars 2012 à 19h33)

Ce sont environ 16 millions d'internautes qui ont reçu ce week-end un mail de Pinterest, le réseau social le plus en vogue du moment . L'équipe du site vient en effet de revoir quelques-unes de ses conditions d'utilisation (CGU) et a tenu à en informer personnellement chacun de ses membres, les encourageant «à prendre connaissance de toutes les modifications apportées» . Lesdits changements sont mineurs, mais c'est le geste qui importe : il s'agit d'éteindre au plus vite la polémique qui enfle autour de Pinterest sur les questions de droit d'auteur.

Ben Silbermann, fondateur et PDG, revient par exemple sur une formulation malheureuse des CGU laissant entendre que l'équipe du site se réservait le droit de vendre tout contenu posté par ses utilisateurs : «Vendre ces contenus n'a jamais été notre intention et nous avons supprimé cette phrase dans la nouvelle version du texte.» Il est également plus facile de signaler des images contrevenant au droit d'auteur, c'est-à-dire postées sur Pinterest sans l'autorisation de leur auteur : il suffit désormais de remplir un formulaire en ligne pour faire retirer le contenu incriminé.

Ces quelques nouveautés ne changent rien au fond du problème. Il s'agit seulement, selon le mail envoyé à tous les membres du site, de rendre les CGU «plus compréhensibles et plus représentatives de la direction poursuivie par Pinterest dans ses évolutions futures» . Car pour répondre véritablement aux reproches qu'on lui formule le plus souvent, Pinterest devrait revoir le principe-même de son fonctionnement.

Pinterest repose entièrement sur le partage d'images entre internautes passionnés. Grâce à un petit bouton «Pin it» qui commence à proliférer sur les blogs et que l'on inclut même à son navigateur pour l'avoir toujours sous la main, on peut «épingler» n'importe quelle image croisée sur le web sur son tableau de liège personnel. Les images ainsi épinglées sont copiées sur les serveurs de Pinterest, dans leur taille originale (parfois très grande) et souvent accompagnées d'un lien vers la page d'où elles sont extraites -- mais pas toujours. Ce lien devrait permettre à l'auteur de l'image de récupérer sur son site personnel un peu du trafic généré par le succès de son œuvre. Mais sur Pinterest, qui s'encombre d'aller explorer la source d'une image quand elle est déjà affichée en haute qualité, et que l'on peut si facilement se contenter de la réépingler sur son propre board ?

Le réseau social a fait grincer les dents de nombreux photographes. Sur leur blog, nombre d'entre eux ont accusé Pinterest de parasitisme, voire de pillage organisé. Ce billet de la portraitiste et juriste Kirsten Kowalski , qui a largement circulé, dénonce même le piège juridique que tend Pinterest à tous ses utilisateurs, et qui l'a conduite à «supprimer à contrecœur tous les albums qu'[elle] y avait créés.»

Le site est en effet conçu, officiellement, pour «organiser et partager toutes les belles choses que vous trouvez sur le web» . Tout est fait pour encourager l'acte de partage : on installe un bouton sur son site ou son navigateur, on «pin» et on «repin» d'un seul clic. L'étiquette du site déconseillait même, jusqu'à aujourd'hui, d'épingler ses propres photos : «Essayez de ne pas utiliser Pinterest comme un outil d'autopromotion.» Voilà pour la vitrine du site, l'apparente décontraction de cet état d'esprit très 2.0 qui consiste à faire tourner tout ce qu'on a sous la main.

Mais parallèlement, Pinterest a blindé sa protection juridique par des conditions d'utilisation bien plus strictes : en s'inscrivant sur le réseau, on s'engage à «ne pas enfreindre les droits d'auteur, le droit à l'image ou n'importe quel droit de propriété d'une tierce partie» . On promet donc de n'épingler que les contenus dont on détient soi-même les droits d'auteur, ou pour lesquels on s'est vu accorder une autorisation explicite de diffusion de la part de son auteur ou de ses ayants droit.

Pas d'autopromotion d'un côté, pas de partage sans autorisation de l'autre : que nous reste-t-il à épingler sur Pinterest ? Rien. La coexistence de ces deux recommandations est hypocrite et égoïste. Car dès la création de Pinterest, le flou a été savamment entretenu pour faire exploser le trafic du site en facilitant le partage tout en mettant ses fondateurs à l'abri de tout ennui judiciaire. Les CGU précisent en effet que toute la responsabilité d'une éventuelle infraction au droit d'auteur incombe à l'utilisateur qui a posté le contenu protégé, et que, comme le note Kirsten Kowalski : «Si un photographe décide de vous poursuivre, vous et Pinterest, pour l'utilisation abusive de ses clichés, vous devrez embaucher un avocat et payer les frais de défense non seulement pour vous-même, mais aussi pour Pinterest. Pire encore : si vous êtes reconnu coupable de contrefaçon, vous paierez aussi les dommages et intérêts pour vous deux.»

De quoi effrayer des millions d'utilisateurs et les pousser à effacer tout contenu posté sur Pinterest jusqu'à aujourd'hui... Ce que beaucoup ont déjà fait. 45000 utilisateurs ont également, en épinglant ou réépinglant une même image , réclamé une réécriture des CGU sous peine de quitter le site.

Les changements appliqués ce week-end par Pinterest ont fait disparaître de l'«étiquette» la mention sur l'autopromotion. Mais il faudra d'autres évolutions conséquentes (elles sont en cours de discussion, nous apprend l'e-mail de l'équipe Pinterest) pour rassurer les fournisseurs d'images ayant déjà manifesté leur impatience, comme Getty Images ou Artists' Bill of Rights. Ce collectif de photographes rappelle que le problème deviendra encore plus pressant quand Pinterest touchera ses premiers revenus : «Il est très décevant que le modèle économique de Pinterest dépende toujours, même si ce n'est pas explicite, de la copie sans autorisation d'images que le site finira un jour par monétiser.»

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