Critique

Pistes rouges à Gérardmer

Fantastique. Moins dense que l’an passé, le festival n’a pas démérité.
par Gilles Renault, Gérardmer, envoyé spécial
publié le 3 février 2009 à 6h52
(mis à jour le 3 février 2009 à 6h52)

Jamais avare en propositions déphasées - c'est même sa spécificité, sinon sa raison d'être - le Festival du film fantastique de Gérardmer, également promu localement sous le diminutif de Fantastic'Arts, a encore franchi les frontières du paranormal durant sa seizième édition, qui s'est tenue sous le soleil vosgien de mercredi à dimanche dernier. En ouverture, Lionel Chouchan, créateur en 1973 du festival - jadis juché plus haut sur les cimes, à Avoriaz - avait, avec la foi du bateleur, vanté des thèmes «punchy et violents», démontrant qu'en comparaison, «finalement, la crise et le pouvoir d'achat, c'est pas grand-chose» - de fait, la fameuse grève nationale du jeudi 29 passera totalement inaperçu dans la bourgade. La vérité reste que le cru 2009 fut moins dense que celui de 2008, il est vrai parmi les meilleurs depuis des lustres (remember Rec, le Roi de la montagne, ou même All the Boys Love Mandy Lane et Stuck, le bon film de Stuart Gordon, honteusement jamais distribués en salles !).

Hommes-taupes. La dernière session hivernale aura cependant marqué les esprits à sa manière. Par exemple en poussant l'incongruité jusqu'à s'ouvrir sur… un western, The Burrowers, pas formidable du tout, certes, mais répondant aux critères de sélection. Soit, variante de la Prisonnière du désert ou des Disparues, un groupe de fermiers et de militaires qui, en 1879, partent à la recherche d'une famille enlevée par les Indiens et se retrouvent eux-mêmes traqués par les Enfouisseurs, sorte d'hommes-taupes qui enterrent leurs proies avant de les bouffer et s'en prennent à l'homme au motif que celui-ci a exterminé leur pitance, les bisons. Et toc ! Signé J.T. Petty, The Burrowers a surtout le mérite de stigmatiser la mauvaise conscience blanche sur laquelle s'est construite l'Amérique (massacre, torture, racisme), mais la manière (mise en scène et interprétation bancales) laisse tant à désirer qu'il n'y a pas lieu de s'attarder.

Tout aussi inattendu, Sauna, l'autre contextualisation historique de la compétition, justifie une attention accrue. «Avec un titre pareil, explique le réalisateur finlandais Antti-Jussi Annila, on pourrait s'attendre à une comédie d'horreur peuplée de filles à poil qui se font trucider. Ça n'est pas du tout le cas : mon propos se situe plutôt autour du péché et de la rémission.» Une fois précisé que l'action se déroule en 1595 et que, sur fond abscons de géopolitique entre Russes, Suédois et Finlandais, il s'agit de délimiter une frontière au cœur d'une contrée marécageuse, on admettra que l'argument a peu de chance de sensibiliser le public teenage en manque d'«Aliens vs Vendredi 13». Sauna n'en demeure pas moins un film instruit, rigoureux et pessimiste («l'avenir est dans notre dos»), qui justifie le détour par le Nord de l'Europe. Plus en tout cas que le norvégien Manhunt, insignifiant survival bestial aperçu à Gérardmer. Et un peu moins que Morse, du Suédois Tomas Alfredson, impeccable vent de fraîcheur au rayon vampire - et grand prix logique de la compétition - sur lequel on ne s'arrêtera pas, pour la seule raison qu'il fera l'objet d'un développement circonstancié lors de son lancement sur les écrans français, pas plus tard que demain.

Biberons de sang. Il faudra patienter plus longtemps pour découvrir Grace, l'autre principale satisfaction de Gérardmer, mais on sait au moins que le film devrait sortir, puisqu'il vient de trouver un distributeur. Première œuvre de Paul Solet, un Bostonien de 29 ans recouvert de tatouages qui jure avoir passé «trois ans et demi sur le projet, dont deux sur l'écriture»,Grace capitalise sur la résurrection miraculeuse d'une fillette mort-née qui développe un goût inquiétant pour des biberons remplis de sang. Sa maman le vit moyennement bien, sa grand-mère, mieux. Et tout ce petit monde patauge dans un bouillon de névroses (syndrome de Munchhausen, hystérie, hygiénisme) qui donne un film globalement malaisant et plus complexe qu'il n'y paraît, où l'on croise les influences manifestes - et perfectibles - du Répulsion de Polanski ou des premiers Cronenberg (Rage, Chromosome 3…), auxquelles le metteur en scène ajoute les noms de «Michael Haneke, Guillermo del Toro et Kiochi Kurosawa pour son traitement du son, primordial dans le cinéma fantastique».

Le soir de la projection, le cinéaste John Landis, hommagé ces jours-ci entre Gérardmer et la Cinémathèque française (Libération du 31 janvier), qualifiait Grace, avec un sourire confraternel, de «zombie baby movie» (film de bébé zombie). Mais l'appellation séduisait modérément Paul Solet qui, questionné le lendemain, la trouvait «certes amusante, mais surtout réductrice, voire inadéquate». «J'ai voulu superposer diverses considérations et niveaux de lecture, où la gravité et l'humour pouvaient cohabiter, complète le disciple d'Elie Roth (Hostel, Cabin Fever). S'il faut déterminer une unité, elle se situe cependant du côté des personnages qui ont tous en commun une frustration liée au fait qu'ils désirent quelque chose qu'ils n'ont pas et ne parviendront jamais à avoir.» Ce qui ne devrait pas être le cas de Paul Solet. Déjà bien accueilli à Sundance, Grace a quitté les Vosges avec un prix du jury.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus