Si ce n’est tout à fait une modernerie, c’en est assurément un pur produit, sollicitant sans aucune vergogne la réactivité téléphonique mobile autant que l’acuité visuelle d’une caméra de surveillance : planté sur le porte-bagages de cyclomoteurs livrant à domicile des gourmandises à base de poisson cru, un panonceau large comme un écran de télé invite tout un chacun à une délation certainement «citoyenne», puisque au prétexte de la bonne cause de la sécurité routière…

«Que pensez-vous de ma conduite ?», demande le deux-roues livreur au piéton qui passe, à l'automobiliste qui suit ou à tout autre témoin potentiel d'un écart supposé. (Car on imagine mal que soit sollicité l'avis de la population à seule fin de décerner prime ou trophée au meilleur coursier.) «Communiquez-nous le numéro d'identification de ce cycle au…» Suit le numéro de téléphone d'une «ligne sécurisée» de la société Planet Sushi. Rien d'explicite, dans cette incitation à balancer, mais le délateur comprendra…

On sait qu’au tarif misérable de la course, le livreur sur deux roues, profilé ado pressé, adepte du gymkhana citadin et de surcroît interdit de couloirs de circulation réservés, se voit quotidiennement contraint à de mortels exercices de funambulisme ; on déplore en conséquence comme une fatalité sa conduite volontiers erratique, et pour tout dire, risquée - pour lui d’abord, s’entend… Passons sur le danger accru auquel l’expose, par le phénomène physique dit de «prise au vent», sa condition d’homme-sandwich, non plus du produit Planet Sushi, mais du «civisme» de la société Planet Sushi. En livrant ses livreurs à l’arbitraire du chaland, elle l’incite à un arbitraire exercice policier d’autant plus pernicieux qu’il est anonyme («sécurisé») ; et, de ce fait, incontrôlable.

Le cadre médiocre de la planète fric-flic qui a inventé ça, Alliot-Marie devrait, outre le décorer, le faire piger place Beauvau.