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Libération
Critique

Pour qui sonne le gland

Dinos. Fatiguée, la saga «Age de glace» est sauvée par Scrat l’écureuil .
par Bruno Icher
publié le 1er juillet 2009 à 6h52
(mis à jour le 1er juillet 2009 à 6h52)

Même s'il n'est pas toujours prudent de tirer sur la ficelle avec une telle obstination, les concepteurs et producteurs de la saga Age de glace - trois films en six ans - connaissent parfaitement leur affaire. Dans ce troisième épisode, le studio Blue Sky, qui développe cette licence pour la Fox, a concrétisé tous les avantages du spectaculaire système 3D, source de curiosité qui tient largement le temps de la projection. Le relief de chaque plan y est un brin entêtant, mais il tient ses promesses. Ce qui revient à dire qu'on y pense sans arrêt, probablement comme les premiers spectateurs qui découvraient les joies du Technicolor au siècle dernier.

Effet d'usure. Surtout, ces braves gens ne se sont pas trompés sur le seul héros d'envergure de cette fresque animée du Pléistocène : Scrat, l'écureuil psychotique dont les interventions, plus nombreuses que dans les deux premiers opus, sauvent le film d'un logique effet d'usure.

Cette fois, la tribu au grand complet (Manny le Mammouth, Ellie sa compagne, Sid le paresseux stupide et puant, Diego le tigre aux dents de sabre, les deux opossums givrés) s’est sédentarisée. Comme toute famille américaine, ils s’embourgeoisent dans une campagne paisible et tentent de se reproduire. Du moins le couple de mammouths, car les autres semblent condamnés à se palucher jusqu’au dégel compte tenu de l’absence de partenaires de leurs espèces dans le secteur.

Toujours est-il que madame Mammouth est enceinte jusqu’aux défenses quand les ennuis (ainsi que le film) commencent. Sid, travaillé par la perspective de finir seul son existence et de devoir faire la nounou pour le futur rejeton obèse de ses amis, vole des œufs. Il commet cette folie au nom d’un instinct maternel qui nous apprend au passage que le paresseux est une paresseuse. La propriétaire biologique de ces œufs est une T-rex féroce qui récupère ses rejetons et embarque Sid dans le même mouvement.

Il n’en faut pas davantage à la troupe d’aventuriers pour se ruer à l’aide de leur ami au cœur d’une jungle équatoriale dissimulée - sans autre motif valable que de fournir au film un décor moins aride que dans les épisodes précédents - à quelques dizaines de mètres sous la glace. Ils feront la connaissance d’une belette borgne que la solitude a rendue dingue et qui ne pense qu’à en découdre avec un monstre de forte taille.

Tourments.On peut ici interrompre le récit de l'expédition tant l'issue est inéluctable. Pas de surprise majeure non plus au rayon «leçon de morale» avec, une fois encore, la démonstration que sans famille, on n'est pas grand-chose et que l'amitié est une valeur à laquelle chacun d'entre nous devrait prendre le temps de réfléchir. Reste, néanmoins, cette prodigieuse invention de Scrat, qui tient dans ses petits bras malingres la destinée du film. On connaît maintenant par cœur le ressort comique de cette créature fébrile et veule, boule de poils congestionnée de convoitise et d'angoisse à l'idée de perdre son seul bien : un gland.

Depuis le premier Age de Glace, en 2002, il est infligé à la bestiole tous les tourments possibles en jouant sur sa capacité à mettre en danger son unique trésor, tout seul comme un grand. Il y a chez lui quelque chose de Tom mais sans Jerry, du Coyote mais sans Road Runner. Pas besoin. Scrat est son propre bourreau et c'est ça qui est drôle. Pour les amateurs, deux courts métrages existent avec pour seul héros Scrat le maudit. Le premier, Gone Nutty, a été réalisé par Carlos Saldanha (qui signe également le troisième long métrage de la série) en 2006 et servait de bonus DVD à l'Age de glace premier du nom. La bestiole réussit ici à détruire un énorme stock de glands dissimulé dans un tronc creux par la force de sa cupidité. Le second, No Time fot Nuts, réalisé par Chris Renaud, un des storyboarders de l'équipe, est au moins aussi réussi puisqu'il mettait la pauvre bête aux prises avec une machine à explorer le temps, le faisant débouler dans les circonstances les plus dramatiques de l'histoire de l'humanité, mais avec toujours un temps de retard sur son gland. Ces deux films sont facilement et légalement disponibles sur le Net.

Dans ce troisième Age de Glace, les scénaristes lui ont réservé une terrible menace : une femelle dont les ondulations du popotin et les battements de cils, le tout sur un onctueux Barry White en fond sonore, lui font perdre le sens des hiérarchies. Son bon vieux gland ne l'intéresse plus et, sans même s'attarder sur la dimension psychanalytique de cette métaphore, c'est après la jolie écureuille qu'il se met à cavaler. Dans une bouffée solidement misogyne, Scrat s'en mordra amèrement les pattes avant.

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