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Libération

Pour un brevet, Apple coupe la parole d'une handicapée

par Sophian Fanen
publié le 28 juin 2012 à 18h27
(mis à jour le 28 juin 2012 à 18h45)

On parle souvent ici de batailles autour de brevets, qui mobilisent des armadas d'avocats mais qui -- finalement -- ont peu ou pas d'impact visible pour les consommateurs des téléphones, logiciels ou diverses technologies mises en cause. En gros, ça bastonne dur, puis tout le monde finit par s'entendre sur une modification de l'engin incriminé et c'est reparti pour un tour.

L'histoire de Speak for Yourself (SFY) est à l'inverse très concrète. Cette application pour iPad, développée par deux linguistes spécialisées et destinée aux enfants (et adultes) ayant des difficultés à s'exprimer, a été récemment éjectée du Store d'Apple suite à une plainte pour violation de brevet déposée par les sociétés Prentke Romich Company (PRC) et Semantic Compaction , qui vendent des solutions clés en main (machine et logiciel) similaires. Ces dernières considèrent que l'interface de SFY est très proche de leurs produits et se défendent logiquement, mais elles ne proposent pas d'application pour iPad et SFY fait donc valoir ses différences.

L'interface de Speak for Yourself.

Cette affaire compliquée aurait pu demeurer perdue dans les profondeurs du net et n'émouvoir que quelques blogs spécialisés, se demandant notamment pourquoi Apple n'a pas attendu un jugement en dernière instance pour suspendre une application qui n'est ni un jeu, ni un gadget qui donne la météo ou prend des photos vintage.

C'est cette impasse que personnifie depuis quelques semaines Maya, une New-Yorkaise âgée de 4 ans pour qui SFY est devenu essentiel.

L'application propose des mots et expressions sous la forme d'icônes à cliquer. Il suffit de taper, et le mot est prononcé par l'iPad. «Maya peut nous parler, distinctement pour la première fois de sa vie, explique sa mère dans un billet traduit chez Framablog . Nous sommes suspendus à chacun de ses mots. Nous avons appris qu'elle aime égrener les jours de la semaine, est très intéressée par la météo, et aime prétendre que ses poupées sont en train de conduire le bus scolaire (souvent) et de travailler (parfois). Cette application ne lui a pas seulement permis d'exprimer ses besoins, mais aussi ses pensées. Elle nous a offert la possibilité de connaître notre enfant à un niveau totalement différent.»

Prévoyants, les parents de Maya ont installé l'application sur deux iPad et en conservent une sauvegarde. Mais ils sont effrayés à l'idée qu'une mise à jour future du système d'exploitation de l'iPad rende leur version de SFY incompatible. Pour cela, ils ont lancé une pétition et relaient les très nombreux articles qui commentent leur histoire.

Ils sont d'autant plus attachés à SFY que Maya a essayé d'autres systèmes similaires sans grand résultat. «Nous n'avons jamais trouvé quelque chose qui corresponde aussi bien à Maya. Fait intéressant, nous avons examiné avec soin la possibilité d'acheter un appareil de communication de Prentke Romich Company et rencontré l'un de leurs représentants en novembre, neuf semaines avant qu'un message sur mon mur Facebook ne me présente SFY (et sept semaines avant son apparition dans l'AppStore). Nous avons examiné leurs dispositifs, et nous avons été déçus de constater qu'ils n'étaient pas adaptés pour Maya. Pour nous, ce n'était pas un choix entre un dispositif coûteux et une application "pas chère". Il s'agissait d'un dispositif inefficace (pour Maya) face à une application qu'elle comprenait et adoptait immédiatement. La seule application, le seul système qu'elle ait immédiatement adopté comme son propre moyen de communication.»

On peut toutefois comprendre, même si ce n'est pas le cas ou qu'ils ne veulent pas le dire, que le choix ait été financier: une machine de PRC coûte au minimum 2595 dollars (2085 euros), alors qu'un iPad démarre à «seulement» 489 dollars (et 489 euros, hum). Si en plus l'application de SFY, qui coûte 299 dollars sur le Store d'Apple aux Etats-Unis, fonctionne parfaitement pour les besoins de Maya...

Contacté par de nombreux médias américains, Apple a -- comme d'habitude -- refusé de commenter cette affaire, se contentant d'affirmer que l'application sera réintégrée au Store si SFY gagne en justice.

Lire les réactions à cet article.

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