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Libération

Pousser mémé dans la Web TV

Net. Au Japon, Amakusa TV met des retraitées à l’antenne.
par Michel Temman
publié le 22 novembre 2008 à 14h57

«Ici Amakusa TV ! La station de l'espace, vous m'entendez ?» demande, sans difficulté, Tsurue Kurokawa, dite Tsuru-chan, 91 ans. Une drôle de navette de la Nasa, en orbite autour de la Terre, traverse l'écran. A son bord, une présentatrice plus très jeune, blouson de reporter sur les épaules et perruque rose fluo, répond en écorchant les mots : «Ici Amakusa TV, ici la station de l'espace. Je suis Shino Mori, dite Shino-chan, et je viens d'avoir 105 ans !» Bienvenue sur Amakusa TV, première chaîne de télé nippone sur Internet présentée par des mamies.

Miss Météo. Au Japon, pays des 36 276 centenaires, Tsuru-chan, Shino-chan ainsi que Mitsue Nagata, dite Mi-chan, 84 ans, comptent parmi les nouvelles coqueluches du PAF nippon. Dans un Japon où un cinquième de la population a 65 ans et plus - qui est aussi le pays où hommes et femmes vivent le plus longtemps au monde -, le troisième âge est résolument high-tech : maîtrise des manettes et outils de communication modernes, écrans numériques et tactiles, PC, GPS, Internet mobile (très prisé des veufs, veuves, vieilles et vieux esseulés), téléphone portable… D'après le ministère des Télécommunications nippon, un tiers des septuagénaires et des plus de 80 ans japonais sont des internautes aguerris. Et quand ils ne surfent pas sur le Net, ils zappent sur le petit écran. Au sein du troisième âge nippon, on se partage entre les chaînes privées (émissions matinales, feuilletons et JT) et les programmes des chaînes publiques de la NHK.

En revanche, animer des émissions de télé après 80 ans tient du jamais vu. C’est dire si les trois mamies d’Amakusa TV, arrières-grands-mamans câblées, sont des animatrices de choc. La plus âgée des trois, Shino Mori, est née en 1903, peu avant la guerre russo-japonaise. Elle a fait ses débuts sur la chaîne il y a deux ans et est devenue, au fil du temps, la miss Météo de la chaîne grâce à son don : elle n’a qu’à regarder le ciel pour connaître la météo du lendemain. Tsurue Kurokawa, elle, est née en 1916 et a fait ses débuts à Amakusa TV à 87 ans. Envoyée en Mandchourie à 18 ans où elle a travaillé pour les chemins de fer nippons, de retour à Amakusa et mariée à 22 ans (en 1938), elle n’avait jamais imaginé devenir présentatrice de télé. Les premiers à suivre ses émissions sont ses dix petits-enfants et dix-neuf arrières-petits-enfants.

Ecolo. Le studio de la chaîne est sis dans la baie de Shimabara, à Hondo, petite ville d'un chapelet de 18 îles de la préfecture de Kumamoto, au sud-ouest du Japon. Une région adulée pour son climat tempéré, sa nature sauvage, ses fruits de mer, ou pour l'observation des dauphins. Là, les gens vivent de la pêche, de l'agriculture, de la riziculture ou de l'artisanat. Leur vie quotidienne et leurs us et coutumes constituent le cœur des programmes d'Amakusa TV. «Amakusa TV est très petite. Mais grâce à Internet, on diffuse dans le monde entier», se réjouit la chaîne. Avec des mots simples et le sourire, les mamies en blouson rose commentent les affaires locales dans un japonais émaillé du dialecte local. Le ton est parfois écolo. Amakusa TV dénonce la pollution maritime. Ou défend le patrimoine de la région. Les trois mamies ont critiqué la destruction du Centre chrétien d'Amakusa, un musée où reposaient 1 300 tombes d'insulaires chrétiens. A l'antenne, Tsuru-chan a comparé le maire de la ville aux talibans. Les trois mamies ont presque gagné le rang de star sur le YouTube nippon : 46 000 internautes ont suivi leur reportage sur la pêche et la consommation des étoiles de mer.

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