Poveda mort au Salvador

Décès. Installé depuis quatre ans dans le pays, le photoreporter et documentariste a été assassiné mercredi. Il s’apprêtait à venir présenter en France son film «la Vida Loca», plongée humaniste dans l’enfer des gangs de la capitale d’Amérique centrale.
par Bruno Icher
publié le 4 septembre 2009 à 0h00

L'assassinat du photographe et réalisateur franco-espagnol Christian Poveda, abattu mercredi sur une route au nord de San Salvador, sera sans doute interprété comme la preuve irréfutable du caractère dérangeant de son film. La Vida Loca, extraordinaire documentaire qui sera dans les salles françaises le 30 septembre prochain, fait partager le quotidien ultra-violent d'un des puissants gangs de la capitale salvadorienne, la Mara 18 (lire page suivante).

Tatouages. Pendant presque deux ans, Christian Poveda y a filmé la misère des bidonvilles, l'aveuglement d'une guerre qui frappe au hasard des rues, la fierté dérisoire de gamins couverts de tatouages dont la vie est rythmée par les coups de feu nocturnes, les enterrements de leurs frères, sœurs et amis sur le cercueil desquels ils jurent vengeance. Il y a filmé aussi l'impuissance presque débonnaire des autorités réduites au statut d'observateur fataliste.

Pays d'adoption. Christian Poveda avait surtout réussi le pari presque impossible d'éviter le piège d'une fascination esthétisante pour ces hommes et femmes inquiétants, tatoués jusque sur le visage, qui n'incarneraient que le mal d'une société en plein naufrage. A travers les portraits éphémères et désespérants d'El Bamban, Little Crazy, La Liro ou El Moreno, Poveda a saisi au vol ce qui pouvait rester d'humanité dans cet univers qui les a déjà condamnés, ne leur niant surtout jamais leur qualité de victimes. «Christian n'a jamais cédé aux tentations d'un esthétisme hors de propos. Dans ce film, il s'interrogeait toujours sur le fait de restituer le mal sans le rendre beau», dit, extrêmement ému, Alain Mingan, photoreporter qui a partagé d'innombrables aventures avec Christian Poveda depuis leur première rencontre, au Liban en 1976.

Depuis quatre ans, le photographe âgé de 53 ans vivait au Salvador. Il avait retrouvé ce pays où, au début des années 80, il avait couvert le désastre de la guerre civile pour en faire son pays d’adoption. Il s’y sentait chez lui, assumant les risques d’un métier pour lequel il n’a jamais fait la moindre concession.

«Christian n'était pas un casse-cou», souligne Christian Caujolle, patron de l'agence VU, qui a travaillé avec Poveda depuis les premières années de Libération. «Il savait très bien au contraire mesurer les risques qu'il prenait. Il avait couvert de nombreux conflits, au Salvador, au Chili pendant le coup d'Etat de Pinochet, au Nicaragua, au Liban… Mais il savait aussi que cela représentait toujours un danger. Or, que ce soit pour des reportages de guerre ou pour des documentaires réalisés en France, Christian faisait toujours en sorte que ses photos ou ses films produisent un impact. Je prends pour exemple le film remarquable qu'il a réalisé sur Act Up, le seul travail de fond qui ait jamais été fait sur ce mouvement et qui n'a fait plaisir à personne.»

Colère. Alain Mingan, qui discutait presque chaque soir avec Christian Poveda sur Skype, confirme la prudence et le professionnalisme du journaliste. «Christian avait pris toutes les précautions nécessaires pour ce film. Il avait notamment effectué un gros travail préparatoire pour rencontrer ou contacter tous les chefs de ces gangs rivaux. Il avait même les numéros de portables de ceux qui sont en prison.» A l'origine du projet, le film devait se faire avec les membres de la 13, le gang rival de la mara 18 qu'on voit dans la Vida Loca. Finalement, avant de tourner, Poveda avait obtenu l'accord des chefs des deux camps. Illustration avec une anecdote dont se souvient Alain Mingan. «Un jour, pendant le tournage, il a accompagné une jeune fille, La Chucky, qui voulait retrouver sa mère naturelle. Or, celle-ci vivait en plein territoire du gang rival. En reprenant sa voiture, Christian avait remarqué des signes d'hostilité à son égard et, du coup, il a téléphoné à l'un des chefs en prison qui, aussitôt, a passé quelques coups de fils à ses hommes pour désamorcer toute l'affaire. Ce genre de choses lui était arrivé maintes fois.»

Outre la douleur d'avoir perdu un ami et un confrère, les photoreporters sont aujourd'hui en colère. «Il y aura toujours des gens prêts à partir dans les zones les plus dangereuses de la planète pour témoigner de ce qui s'y passe, affirme Christian Caujolle. Toutefois, si ce journalisme est en danger, c'est évidemment parce que des gens comme Christian risquent leur vie mais aussi parce que leurs travaux trouvent de moins en moins de place dans les médias qui sont censés les diffuser.»

Depuis quelques jours, Christian Poveda était préoccupé. La Vida Loca avait été piraté et des centaines d'exemplaires de son film étaient vendus à San Salvador pour 1 dollar le DVD. Au point que le documentaire était en train de devenir un des principaux sujets de conversation de la rue. «Il m'en avait parlé, dit Alain Mingan, mais il n'était pas inquiet. Au contraire. Il était heureux et impatient de le voir dans les salles de cinéma.»

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