Présidentielle : les candidats parlent (enfin) de numérique

par Emilie MASSEMIN
publié le 18 avril 2012 à 13h16
(mis à jour le 18 avril 2012 à 13h18)

En mars dernier, 21 associations et syndicats des professionnels du numérique, parmi lesquelles la Fédération française des télécoms, le Syndicat national des jeux vidéo, la Fevad et le Syntec numérique, adressaient une lettre aux candidats leur demandant de préciser leur programme pour le secteur du numérique. Parmi les points aiguisant la curiosité – ou le scepticisme – des signataires, l’enjeu de la transformation numérique de l’économie et de la société, la vision stratégique de la compétitivité du numérique pour la création d'emplois, les aspects réglementaires et fiscaux, l’engagement pour l'accompagnement de l’innovation numérique, l’effort de formation au numérique, et la modernisation numérique de l'État ainsi que l’exemplarité des services publics.

Ils ont failli attendre. Mais à quelques jours du premier tour, cinq candidats, François Bayrou, Nicolas Dupont-Aignan, François Hollande, Eva Joly et Nicolas Sarkozy, ont finalement satisfait à la requête du collectif ( fichiers zippés puis .pdf ). Sans surprise, ils prêtent unanimement une importance prépondérante à la question du numérique dans les cinq prochaines années. François Hollande et Nicolas Sarkozy évoquent tous deux une « question clé » , Nicolas Dupont-Aignan parle même, majuscules à l'appui, de « Révolution Numérique » . François Bayrou et Eva Joly, eux, soulignent respectivement « l'importance primordiale » de ce sujet et « un enjeu politique majeur de ce siècle » . Mais qu'en est-il des propositions ?

François Bayrou : création d'une "zone autonome Internet"

François Bayrou envisage la création d'une « zone économique autonome dans le monde Internet » , où seraient expérimentées des règles mises en place par les créateurs d'entreprise eux-mêmes. « Je suis convaincu que nous pouvons démultiplier les financements [aux PME] par des avantages renforcés pour les business angels, sur le principe de ceux accordés aux fonds de capital risque, et par une reconfiguration des actions de OSEO et du FSI » , affirme le candidat du MoDem. Il propose la mise en place d'un « Small Business Act », pour un accès plus facile des petites entreprises au crédit, aux marchés publics et à la sous-traitance, ainsi que des réductions de charges. Au programme également, un meilleur apprentissage des nouvelles technologies, intégrant « l'éducation à la programmation et aux concepts du numérique » . Enfin, le candidat du centre souhaite créer un Haut Commissariat aux systèmes d'information de l'État, chargé de réaliser des économies d'échelle dans les ministères et organismes publics et de favoriser l'open-data.

Nicolas Dupont-Aignan : protectionnisme et nouvelle fiscalité

Nicolas Dupont-Aignan, candidat de « Debout la République », voit dans le numérique « l'un des principaux leviers d'actions pour la reconquête de la compétitivité de nos entreprises » . Objectif, le développement d'une souveraineté nationale en matière d'informatique. Ses deux « mesures-phares » pour « redessiner un cadre économique dynamique » consistent en « une dose de protectionnisme » et « un changement majeur de la fiscalité des entreprises » . Il prévoit ainsi de diviser par deux l'impôt sur les sociétés, pour celles qui réinvestissent leur bénéfice dans le développement de leurs activités en France. Il promet ensuite en vrac « [la] formation de tous les enfants aux fondamentaux de l'informatique, [le] renforcement de notre enseignement supérieur et notre recherche, [l']extension du statut des Jeunes Entreprises Innovantes [et le] déploiement du Très Haut Débit sur l'ensemble du territoire » . Enfin, il souhaite la création d'un centre de données, ainsi que le développement de la fibre optique sur l'ensemble du territoire.

François Hollande : un « Habeas Corpus numérique »

Dans la première partie de sa réponse, François Hollande s'attaque au bilan de son rival de l'UMP, à la circulaire Guéant, au projet de « taxe Google » qui « menaçait en réalité le tissu économique français » , et à « l'image répressive d'Hadopi qui a retardé le développement de l'offre légale en ligne » . Le candidat socialiste insiste sur la nécessité de former des jeunes «de qualifications intermédiaires dans des secteurs tels que la programmation, l'administration du réseau, la numérisation et l'archivage ou la gestion de communautés » . Il prévoit une « fiscalité adaptée aux PME et aux entreprises innovantes» , avec la mise en place d'un « impôt progressif » sur les sociétés. «Nous allons mettre fin à cette injustice qui veut que les géants de l'Internet ne paient qu'une faible part de leurs impôts en France alors qu'ils y exercent une activité économique florissante» , clame le candidat du PS.

Concernant l'effort de formation au numérique, il planche sur « un soutien au développement des supports pédagogiques numériques, la formation des enseignants au numérique, de nouvelles pédagogies et l'ouverture à toutes les séries des baccalauréats généraux et technologiques d'une "spécialité optionnelle" tournée vers le numérique » . Pour la modernisation numérique de l'Etat et l'exemplarité des services publics, François Hollande promet entre autres d'employer des logiciels libres et des standards ouverts dans le service public, d' « aller plus loin dans l'ouverture des données publiques » et surtout de mettre en place un «Habeas Corpus numérique» , « qui garantira les droits et les libertés de chacun face à l'entrée dans nos vies de nouvelles technologies » .

Eva Joly : un « Pacte pour les PME »

De son côté, Eva Joly veut faciliter le financement par « crowdfunding » - l'appel à un grand nombre de personnes ordinaires, internautes, réseaux de contact, amis. Elle prévoit elle aussi la mise en place d'un « Small Business Act », un « pacte pour les PME » réservant les marchés publics d'un montant inférieur à 70000€ aux PME, réformant le crédit impôt recherche « qui profite actuellement, dans 70% des cas, aux grands groupes » , et simplifiant les formalités administratives. La candidate d'Europe Ecologie-Les Verts réaffirme son intérêt pour l'open-data et désire favoriser le logiciel libre.

Nicolas Sarkozy : « start-up France » et Agence nationale pour l'innovation numérique

C'est le candidat UMP Nicolas Sarkozy qui fournit la réponse la détaillée, dans une lettre ouverte longue de 37 pages . Le président de la République revient longuement sur cinq ans de mandat : il se félicite de la mise en place, avec François Fillon, du premier secrétariat d'Etat en charge de l'économie numérique, confié à Eric Besson puis à Nathalie Kosciusko-Morizet. Il rappelle aussi la mise en place du plan France numérique 2012 puis 2020, et remercie au passage Laure de la Raudière, Patrice Martin-Lalande, Franck Riester -- Lionel Tardy étant le grand absent, probablement à cause de sa position sur l'Hadopi.

Comme mesures, pour la plupart déjà connues, Nicolas Sarkozy propose un « pacte fiscal » basé sur trois principes, l'équité, la stabilité et l'innovation. Il prévoit le lancement du programme « start-up France » , un portail à destination des start-up qui rassemblera des informations utiles, des ressources pédagogiques et pourra mettre les débutants en relation avec « des entrepreneurs qui ont réussi » - réclamé notamment par Syntec Numérique et l'Afdel. Concernant la formation, il évoque un plan de développement des formations au numérique, la création d'Académies du numérique et d'un baccalauréat numérique. Pour ce qui est de l'exemplarité de l'Etat, le Président souhaite entre autres créer une agence nationale pour l'innovation par le numérique et libérer systématiquement les données publiques.

Sarkozy toujours : Nouvelle mesure sécuritaire et lutte contre le piratage

Concernant la sécurité, son thème de campagne favori, il souhaite étudier les différentes « façons d'utiliser les communications par SMS et réseaux sociaux, plébiscitées par les jeunes générations, pour le signalement des violences et délits aux forces de police » (p. 29). Cette mesure n'est pas sans rappeler son quelque peu polémique Internet-signalement.gouv , mis en place en 2009, qui permet aux internautes de signaler les délits qu'ils suspectent sur Internet.

Petite nouveauté encore dans le domaine de la propriété intellectuelle, son vieux combat : Nicolas Sarkozy déclare que « le piratage dont sont victimes les éditeurs de logiciels sont un véritable fléau pour notre industrie » . « Ce sujet majeur devra être traité comme l'est le piratage des autres créations de l'esprit » , prévient-il, rappelant qu'il « souhaite que la France défende une stratégie nationale et européenne de protection et de valorisation de la propriété intellectuelle » (p. 10). S'il est réélu, le candidat UMP entend clairement intensifier sa lutte contre le piratage , comme il l'a laissé entendre dans une longue interview accordée à Allociné . Son objectif est de favoriser « une coopération judiciaire et policière internationale pour lutter contre cette forme de criminalité » , a-t-il déclaré, pour que « le volontarisme du gouvernement des Etats-Unis, manifesté de façon éclatante le 18 janvier dernier à l'encontre de MegaUpload, ne demeure pas isolé » .

Et le logiciel libre ?

Les candidats sont donc tous d'accord pour insister sur l'importance de la formation aux nouvelles technologies des élèves et des étudiants. Pour la plupart, la fiscalité des grands groupes doit être revue, et l'État doit se montrer exemplaire dans l'adoption du numérique. Mais on reste un peu sur sa faim, face à l'absence de propositions réellement nouvelles et surtout précisément chiffrées. A noter, l'April a elle aussi envoyé un questionnaire aux candidats début mars. L'association pour la promotion et la défense du logiciel libre attend toujours 6 réponses de candidats à ses « préoccupations pour le logiciel libre et les libertés à l'ère du numérique » .

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