Présidentielle : tant de paroles !

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 5 février 2012 à 14h26

Poutou ! Poutou ! Poutou ! Eh oui. On peut, en presse écrite, rouler pour un candidat à la présidentielle et lui ouvrir grand les pages, sans avoir à compenser par autant d’interviews de Marine Le Pen. Alors que ces médias de masse que sont les radios et télés sont soumis aux règles redoutables de précision du temps de parole, auxquelles veille le sourcilleux Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Depuis le 1er janvier, la situation s’est compliquée avec le début de la période électorale en trois temps et autant de règles qui s’achèvera au soir du second tour de la présidentielle, le 6 mai.

Pour les télés et les radios, c’est un véritable casse-tête de programmation, doublé cette année -- c’est une première -- de la prise en compte du candidat-pas-candidat Nicolas Sarkozy. Des voix se font entendre de plus en plus fortement -- Claude Sérillon, Jean-Michel Aphatie -- pour critiquer ces règles.

Imparfaites, ces règles, mais à quoi ressemblerait le PAF électoral sans elles ? Déjà que c'est pas jojo… Ce matin, le CSA publiera les relevés des temps de parole pour janvier et, selon Christine Kelly, en charge du dossier au sein du Conseil, les résultats sont contrastés. «On constate , déclare-t-elle à Libération, un effort de certaines chaînes et radios pour représenter beaucoup de candidats.» Ainsi Nathalie Arthaud a-t-elle eu son quart d'heure de célébrité chez Ruquier. «Mais , indique Christine Kelly, il y a aussi une tendance à la bipolarisation.» François Hollande, dont le discours du Bourget a été retransmis par toutes les chaînes info et qui a été invité de Des paroles et des actes sur France 2, contre Nicolas Sarkozy qui, dimanche, a squatté six chaînes et 16,5 millions de téléspectateurs. C'est cette bipolarisation politico-médiatique que la réglementation du CSA a pour objectif de contenir. Encore un effort…

La subtilité de l’équité

L'égalité, c'est simple : Sarkozy égale Le Pen. Enfin, on veut dire que chaque minute où s'exprime à la radio et à la télévision notre vénéré président de la République doit être compensée par une minute de Marine Le Pen, une minute de François Hollande, etc. Ça, ce sera à compter du 20 mars et jusqu'au deuxième tour : kif-kif bourricot pour tout le monde. D'ici là, règne la règle autrement plus tarabiscotée de l'équité. Les chaînes affirment n'avoir aucun quota écrit : «On se réfère aux capacités du candidat à faire une vraie campagne ainsi qu'aux sondages, aux intentions de vote et aux résultats de son parti lors de précédents scrutins , indique Christine N'Guyen, du service juridique de Canal+, mais le CSA nous laisse une marge d'adaptation.» Le système favorise évidemment les grands partis au détriment des petits candidats qui trépignent en attendant le 20 mars qu'entre en vigueur l'égalité absolue.

Le souk du temps d’antenne

Ne vous fiez pas à ce qu'on a écrit au-dessus parce qu'il manquait un élément : il faut distinguer le temps de parole du temps d'antenne. Le premier, c'est quand le candidat -- ou ses soutiens -- parle : simple. Le second, c'est quand les journalistes parlent du candidat : plus sioux. Quand Laurence Ferrari dit «Hollande sera en meeting à Hyères» , les deux secondes que dure la phrase sont décomptées du temps d'antenne du candidat PS. Mais il y a une nuance. Si Yann Barthès, dans le Petit Journal de Canal +, dit «Hollande sera en meeting à Hyères, poil au phacochère» , les deux secondes et demi ne sont pas décomptées. Parce que c'est de l'humour. Mais si le Petit Journal diffuse des extraits de Hollande au meeting de Hyères, alors ceux-ci seront décomptés sur son temps de parole. En revanche, les humoristes comptent pour du beurre, Guignols inclus. Sauf quand Jamel appelle à voter à Hollande, parce que c'est pas pour de rire.

Le bazar de la programmation

Ne vous fiez pas à ce qu'on a écrit au-dessus parce qu'il y a encore une autre subtilité : les «conditions de programmation» . Au cours de la troisième période du marathon présidentiel dite «campagne électorale» (à compter du 9 avril, non seulement une minute de Sarkozy devra être égale à une minute de Le Pen mais, en plus, écrit le CSA, «dans des conditions de programmation comparables» . S'agirait pas que TF1 reçoive Sarkozy pendant une heure au JT de 20 heures et compense avec une heure de Mélenchon dans Très chasse, très pêche à 4 heures du matin.

Mais cette pratique-là est en revanche autorisée jusqu’au début de la campagne électorale. On a ainsi pu le constater lors de la dernière présidentielle où les chaînes info, pour contrebalancer la parole des grands candidats diffusées aux heures de grosse écoute, retransmettaient des meetings de Lutte ouvrière au cœur de la nuit.

Le cas du «Candidat présumé»

Il y a Christophe Alévêque, Eric Cantona, et Nicolas Sarkozy : tous sont des «candidats présumés» . L'un parce que c'est pour de rire, l'autre parce que c'est pour de faux et le troisième parce que c'est pour de vrai mais pas tout de suite. «Candidat présumé» , ça veut dire que le temps de parole de Sarkozy en tant que candidat de l'UMP est comptabilisé. Mais Sarkozy n'est pas seulement candidat, il est aussi Président.

Jusqu’en 2009, le chef de l’Etat était considéré au-dessus des partis et son temps de parole imputé à aucun d’entre eux. En 2007, Sarkozy est élu et envahit les écrans : alors que le temps de parole du Président représentait 7 % de celui des hommes politiques entre 1989 et 2005, il dépasse 20 % entre 2007 et 2008… Ce qui pousse le PS à demander que le temps de parole de Sarkozy soit imputé à l’UMP. Désormais, le CSA doit démêler le Sarkozy qui compte pour l’UMP, du Sarkozy régalien qui compte pour du beurre.

Le mystère du calcul

C’est un boulot exaltant : on regarde la télé toute la journée, on la découpe en tranches et on range les tranches dans des cases. Au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le bureau où se tient cette office s’appelle «la salle des observateurs». Lesquels sont, souvent, des étudiants.

Et c’est la même chose côté télé puisque le relevé des temps de parole est effectué parallèlement au sein de chaque chaîne par des cellules ad hoc. A i-Télé, par exemple, une seule personne mouline la chaîne info toute la journée, non seulement pendant la campagne présidentielle, mais aussi tout le reste du temps où est en vigueur la règle hors élection (qui reste également valable pendant la course à l’Elysée, bonjour le casse-tête).

Chaque chaîne envoie périodiquement ses résultats au CSA qui les compare avec les siens et adresse ensuite en retour ses observations. Durant la présidentielle, le Conseil procédera ainsi à douze relevés.

Le secret de l’histoire

Et avant le temps de parole, c'était comment ? Tout le monde parlait à tort et à travers ? En fait, explique Isabelle Veyrat-Masson, directrice du laboratoire communication et politique du CNRS, «dès 1953 et les premières élections télévisées, les hommes politiques se sont dit qu'il fallait faire attention» . Il n'y avait alors aucune règle ou plutôt, raconte-t-elle, «le principe c'était : quand c'est mon ami, il passe, quand c'est mon ennemi, il ne passe pas» . De Gaulle est ainsi interdit d'antenne jusqu'en 1958, avant d'appliquer la même règle à ses opposants. En 1964, première pincée de pluralisme, sous l'influence -- c'est piquant -- d'Alain Peyrefitte, ministre de l'Information. Pour la présidentielle de 1965 tous les candidats ont le droit d'apparaître deux heures. En 1969, élu, Pompidou légifère et instaure la règle des trois tiers (un pour le gouvernement, un pour la majorité, un pour l'opposition), qui perdurera jusqu'en 2009.

Paru dans Libération du 3 février 2012

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