Critique

Prise de Têt médiatique

Documentaire. Arte diffuse ce soir un film coup de poing sur le rôle des journalistes dans la guerre du Vietnam.
par Bruno Icher
publié le 1er octobre 2008 à 7h04

Autant le préciser, il n’y a pas une once d’ironie dans le titre du documentaire de Patrick Barbéris. Cette «trahison» fait référence au déferlement d’images qui, en 1968, pendant l’offensive du Têt, provoqua le début de la déconfiture américaine au Vietnam. Or, si l’analyse est cohérente, le mot est assez gênant. Il s’est effectivement produit, à ce stade du conflit, un paradoxe comparable à celui de la guerre d’Algérie. Alors que militairement, la bataille était gagnée, le dégoût de cette guerre, la peur collective de voir tant de jeunes hommes tomber au combat et une large prise de conscience idéologique ont modifié sensiblement la perception du conflit dans les foyers américains. Or, si ce sont bel et bien les innombrables reportages qui modelèrent ce revirement, le terme «trahison» revient à considérer que les médias ont corrompu la vérité dans le but de faire perdre leur propre camp. Comme si, sous prétexte d’être occidentaux, les reporters avaient eu le devoir sacré de supporter l’effort de guerre américain et, tant qu’on y est, de donner des gages d’un anticommunisme inébranlable.

Malentendu. C'est d'autant plus regrettable que le documentaire, construit sur un mode chronologique rythmé par les témoignages de vétérans et de reporters présents sur le front, cerne remarquablement à la fois l'enchaînement des événements et l'impact de leur interprétation dans les foyers américains. Le début du malentendu commence en 1967, lorsque le général Westmoreland, commandant en chef des troupes américaines au Vietnam, affirme dans un discours optimiste que «la lumière est au bout du tunnel». Presque simultanément, la base de Khe Sanh est cernée par les troupes nord-vietnamiennes. Le siège est d'une rare violence et les images diffusées sur les écrans américains ne donnent pas exactement l'idée d'un triomphe imminent. Le Têt, nouvel an lunaire qui a lieu cette année-là le 30 janvier, donne lieu à une attaque surprise des troupes du Nord et du FNL (lire ci-dessous), alors que le gouvernement sud-vietnamien est aux abonnés absents et que les troufions américains en perm se biturent dans les bars.

Quarante-deux villes sont visées, dont Saigon, qui n’avait jamais connu le moindre coup de feu. L’ambassade américaine est prise par un commando vietcong, les combats ont lieu dans les rues et les reporters de guerre sont là, caméras au poing. Ils braquent leurs objectifs sur ces jeunes recrues terrifiées, impuissantes face à cette guérilla urbaine dont elles ignorent tout. Ils filment les corps ensanglantés des civils dans les rues, les exécutions sommaires, l’incroyable brutalité d’une guerre où les GI n’ont pas le beau rôle. Ils filment, à vrai dire, ce qu’ils peuvent. Dans la course à l’information rapide, l’accumulation des images montées à la hâte montre plus les prémices d’une défaite humiliante qu’une victoire programmée.

Plus tard, le bilan de cette offensive montrera qu’elle avait mis le FNL à genoux, ayant perdu la majorité de ses hommes, la quasi-totalité de son encadrement ainsi que la confiance de la majorité de la population, terrifiée par les exactions commises pendant les combats. Mais c’était trop tard. Le 27 février 1968, l’éditorialiste de CBS, Walter Cronkite, de retour de Hué, appelle à l’ouverture de négociations. Le général Westmoreland est limogé, le président Lyndon Johnson annonce qu’il ne se représentera pas. Les Américains ont perdu la guerre.

Leçon. Sans jamais en prendre alors conscience, les médias ont incontestablement joué un rôle prépondérant dans cet épisode décisif de la guerre du Vietnam, au détriment de ce qui se déroulait effectivement sur le terrain. La conséquence la plus spectaculaire de cet épisode est aujourd'hui sous nos yeux. Chacun a compris la leçon. L'armée américaine, qui contrôle chaque image du front, mais aussi les télés américaines qui n'osent plus se mouiller quand il est question d'armes de destruction massive en Irak.

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