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Libération

«Prototype 2», la loi du plus gore

par Olivier Seguret
publié le 4 mai 2012 à 10h17

Encore un mot barbare à assimiler : la «désaisonnalisation». C'est ainsi que l'on appelle l'effort entrepris par l'industrie du jeu vidéo lorsqu'elle essaie de briser le cycle saisonnier qui la gouverne. Au nom de celui-ci, un colossal embouteillage de jeux occupe le calendrier des sorties d'octobre à décembre, rendant la concurrence féroce et parfois injuste, de nombreux titres de qualité -- mais maigres en marketing -- étant sacrifiés selon la loi du plus fort, en l'espèce le plus riche. L'un des experts en désaisonnalisation est le studio Rockstar, qui s'est fait une spécialité de sortir un jeu de catégorie AAA chaque mois de mai. Après Red Dead Redemption en 2010 puis L.A. Noire l'an passé, ce sera au tour de Max Payne 3 , qui sort le 18 mai, d'occuper le terrain printanier. Mais il ne sera pas le seul. Flairant le bénéfice qu'une telle méthode pouvait représenter, la major Activision a, elle aussi, décidé d'occuper le terrain des beaux jours avec Prototype 2 , développé par son antenne canadienne, le studio Radical Entertainment.

Ne pas avoir pratiqué le Prototype premier du nom est un avantage : la désagréable impression d'inachevé qu'il a laissée risquerait de donner une fausse idée de ce sequel . D'ailleurs, Prototype 2 commence par effacer les traces qui le lieraient de façon trop évidente à son prédécesseur : nouveau héros, nouvelle fluidité (excellentes animations de la ville populeuse), histoire à peine revisitée et, surtout, nouveau gameplay.

Après quelques minutes à peine de prise en main, le saut qualitatif crève les yeux : le premier opus était un brouillon déceptif ; ce deuxième volet en corrige tous les vices. Et il le fait avec d’autant plus de brio que son ambition n’est pas de rivaliser avec les blockbusters mais de proposer une très bonne expérience de série B, comme le jeu vidéo en manque cruellement.

Le modèle plus ou moins conscient de Prototype se trouve à la croisée d' InFamous et de Just Cause , qu'il mixe en une synthèse nerveuse. Pour le joueur il s'agit, en gros, de prendre possession d'une ville -- New York ? -- qui sombre dans le chaos à mesure que se répand une épidémie monstrueuse. Répondant à l'identité de James Heller, le héros n'affiche aucun charisme particulier, son rôle consistant surtout à se fondre sous les gestes du joueur. L'histoire de cette prise en mains est parallèle à la prise de possession sur la ville, et la redoutable efficacité du gameplay tient tout entière dans cette fusion entre l'homme, le programme et la machine. Inutile en effet de chercher des ambitions cachées derrière l'entreprise Prototype : il s'agit avant tout de réveiller le jouisseur qui sommeille en chaque gamer, et ça marche.

Pour les besoins de sa cause, le joueur se verra dans l'obligation de devoir «assimiler» ses victimes, terme pudique pour inciter au cannibalisme. Celui-ci s'opère d'ailleurs dans les termes presque exacts de la «transaction magique» décrite par les ethnologues : en ingérant l'ennemi, on prélève le meilleur de son ADN et on profite ainsi des qualités propres au dégusté.

D'une façon générale, c'est vers la pure action que tend ce titre où même un geste aussi basique que recharger sa jauge de santé prend ici la tournure d'une orgie anthropophage… Gavé de fun et de vitesse, illuminé d'un petit sourire en coin, Prototype 2 ne souffre que d'une carence manifeste : la pauvreté de sa bande musicale, lourde et répétitive, qui donnerait presque un tempo bourrin à un jeu qui ne l'est pas.

Paru dans Libération du 3 mai 2012

Prototype 2

_ Développé par Radical Entertainment pour Activision

_ Sur PS3 et Xbox 360, environ 48 €

_ Une version PC sortira en juillet.

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