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Libération

Pub télé : le chantage de Sarkozy

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 14 janvier 2008 à 1h56

Il faut, en ces temps de promesses, réviser son Dalida : «Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots.» Ainsi, samedi, après le Premier ministre François Fillon et la ministre de la Culture Christine Albanel jeudi, le président de la République a-t-il enfoncé le clou : «Je le dis de la manière la plus claire, nous garantirons au service public les recettes dont le service public a besoin et la question de la privatisation d'une chaîne du service public ne se pose pas.» Clair, on ne peut plus clair. Sauf que Nicolas Sarkozy a ajouté une condition : «Si les programmes sont différents.»

Equilibriste. Voilà qui ne devrait pas rassurer les 11 000 salariés de France Télévisions en plein désarroi depuis que, la semaine dernière, Sarkozy a annoncé la mort de la pub sur les antennes publiques, programmée pour le 1er janvier 2009. Vendredi, lors d'un comité de groupe, tous les syndicats se sont opposés à la mesure, dénonçant un «plan social présidentiel».

Il va donc falloir que le président de France Télévisions Patrick de Carolis se remue le popotin pour pondre les programmes différents qu'exige le Président. Sinon, couic : «Continuer avec la même publicité sur le service public que dans les chaînes privées, les mêmes programmes dans le service public que pour les chaînes privées, on se demande pourquoi faudrait-il alors qu'il y ait des chaînes du service public ?» a menacé Sarkozy.

Première étape : écrire de nouveaux cahiers des charges pour les chaînes de France Télévisions. Une réunion est prévue dès la semaine prochaine au ministère de la Culture avec Carolis et son second Patrice Duhamel pour plancher sur le sujet. Le cadre a déjà été fixé : même privée de pub, France Télévisions devra continuer à faire de l'audience. Un sacré numéro d'équilibriste. Mais, promet-on au ministère de la Culture, le «groupe va pouvoir prendre plus de risques pour plus d'innovation, il y aura une liberté nouvelle pour des productions et des formats nouveaux.» Mouais. En attendant, on ne sait toujours pas comment sera compensé le manque à gagner de 800 millions d'euros de recettes publicitaires de France Télévisions.

Prospectus. D'autant que la facture sera en fait beaucoup plus élevée. Car la pub va libérer du temps d'antenne : soit 3 h 15 de programmes par jour. Qui ont un coût : 400 millions d'euros par an en plus. C'est désormais la somme faramineuse de 1,2 milliard d'euros qu'il va falloir trouver. Or, comme l'annonce de Sarkozy a été aussi intempestive qu'inattendue, rien n'est prêt. Quelle taxe pour la pub des chaînes privées ? Quelle taxe pour les opérateurs des télécoms ? Rue de Valois, on envisage une troisième piste : taxer la publicité dite «hors médias» (prospectus, mailing), soit 10 millions d'euros. Et, afin de réduire les coûts, France Télévisions pourra conserver le parrainage d'émission, soit 80 millions d'euros.

Coupures. Dire si le texte de loi entérinant la mesure va être dense. Surtout que vont également y entrer de nouvelles dispositions pour la publicité des chaînes privées : des coupures supplémentaires dans les émissions ; un assouplissement des règles de diffusion ou encore le placement de produits qui autorisent les marques à apparaître dans les fictions contre rémunération. La loi sera votée avant l'été. Mais le SNJ de France 2 fait remarquer qu'il faudra l'aval de Bruxelles. Ce qui n'est pas acquis, la commission étant tatillonne avec les subventions à la télé publique.

D'ici là, Christine Albanel ne va pas chômer. Elle a dit, ce week-end, vouloir «recueillir l'avis des Français» sur la suppression de la pub. En ce sens, un forum Internet va être ouvert et la ministre participera à l'une des rencontres itinérantes avec les téléspectateurs qu'organise régulièrement Patrick de Carolis.

Première prise de pouls, samedi dernier, avec un sondage paru dans le Parisien : c'est pas gagné. Seules 47 % des personnes interrogées jugent que la suppression de la pub est une «bonne chose», quand 43 % pensent le contraire. Etonnant : peu d'adhésion pour une mesure aussi démagogique.

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