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Libération

Qu’est-ce que ça veut dire, «lire» ?

par Pierre Marcelle
publié le 9 novembre 2010 à 0h00

Evoquer la dictature du moteur de recherches Google, ce n’est pas seulement honnir l’omniprésence du grand référent, la puissance de ses algorithmes ou l’addiction à son culte que lui vouent des centaines de millions d’êtres encore un peu humains, quoi qu’on en dise. C’est aussi découvrir comment le monstre nous reformate chaque jour un peu plus les neurones, le sens des mots et, partant, de la vie même. Un peu, en quelque sorte, à la façon du sarkozysme triomphant : quotidiennement, ou quasi, une frasque, une hénaurmité en forme de projet de loi ou l’émasculation de quelque fondamentale liberté nous tombe sur la tête. Et tant et tant, sans discontinuer, que le client comme le citoyen, sidéré, finit par ne plus les voir.

Ainsi de cette invite souvent appelée à nous sauter aux yeux, depuis quelques années déjà que nous sommes titulaire d'un compte Gmail, l'ogresque messagerie de Google, et qui s'affiche chaque fois qu'est vidée la boîte de réception : «Aucun nouveau message. Vous n'avez rien à lire ? Rendez-vous sur Google Actualités.» Longtemps, ça nous entra par un œil et ça sortit par l'autre. Jusqu'au jour où, d'une seul coup d'un seul, éclata l'incongruité de la proposition. Le seul terme de «lire» la résume en son entièreté, qui confond dans le même plan la lecture du courrier et la lecture des nouvelles. Pour mesurer en quelle misérable estime la machine tient la lecture, on appréciera au passage la conséquence induite : hors les mails et les dernières dépêches d'agences, pas de lecture concevable, de romans, par exemple, dont le support ne serait pas numérique… Pour Google, le lecteur ordinaire, celui qui tient dans ses deux mains un volume broché dont humblement il tourne les pages de papier, n'existe pas.

Pour que disparaisse le message de Gmail, il faudra attendre que Google, se développant encore, mette sur pied et en ligne sa bibliothèque numérique à laquelle renvoyer le client. Cette lourde opération une fois réalisée, à force de taxations multiples et d'hadopiesques déclinaisons, «la lecture, ce vice impuni», comme disait Valéry Larbaud, cessera enfin de l'être, impuni.

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