Quand Canal+ prend l'Internet chinois en modèle

par Erwan Cario
publié le 10 février 2009 à 19h58

On vous l'a dit et répété : Internet, c'est dangereux. Il faut donc cesser les diatribes éculées sur la liberté, la vie privée et le partage. Fini de jouer. La sécurité passe avant tout. C'est en substance le discours classique qu'on entend régulièrement, les dangers ayant pour noms «diffamation», «pédophilie», «nazisme», «arnaques» ou «cybercrime», et la solution étant déjà toute trouvée : surveillance et filtrage.

Ces mécanismes bien connus pour imposer des mesures purement sécuritaires pourraient faire un excellent sujet pour l'émission de Canal +, l'Effet Papillon . Malheureusement, on a vite compris, dimanche dernier, que ce n'était pas l'approche choisie. «Attentat en ligne», le titre du deuxième reportage de l'émission donne le ton. Et une des premières phrases énoncées par une voix off au ton alarmiste (et tellement télévisuel) confirme la première impression : «La guerre informatique, le scénario de la peur à Washington» .

On y trouve donc, entre autres, James Lewis du Centre d'études stratégiques internationales et Tom Layton, «l'un des maîtres de la toile» , directeur chez Akamai Technology. Et on y parle des nouveaux hackers qui sont des «saboteurs travaillant pour des mafias ou des états» . Pas question ici de nier les faits relatés dans le documentaire. Mais, sans doute involontairement, Nicolas Tonev et Cyril Thomas, qui ont réalisé le reportage, cautionnent les mesures à venir. Comme lorsque James Lewis explique : «si on ne se protège pas, il peut y avoir de gros dégâts» . Sans jamais, évidemment, entrer dans le détail de ces mesures de protection si nécessaires.

Mais on atteint un sommet en fin d'émission. Tous les éléments sont en place et le téléspectateur a bien compris qu'Internet, parce qu'il n'est pas protégé, menace de faire s'écrouler les démocraties occidentales (on exagère à peine). On peut donc maintenant sortir l'artillerie lourde sans trop se poser de question. Voici donc la transcription mot à mot d'un passage situé en fin d'émission : «Au centre des accusations sur le hacking d'état, Pékin est aujourd'hui protégé par une nouvelle muraille. A Boston, dans sa salle de commande, Tom Layton est formel, dans la guerre du troisième type, la Chine a une longueur d'avance : "Le gouvernement chinois filtre déjà tout ce qui rentre dans le pays par le net, et cela lui donne une bonne avance, en cas de guerre électronique. Parce que leurs infrastructures sont déjà équipées avec des boucliers capables de stopper une éventuelle attaque massive. Alors que nous, aux Etats-Unis, et en Occident, on n'a pas ce qu'il faut pour répondre à ça." Selon le département de défense intérieure des Etats-Unis, les attaques sur les réseaux militaires américains ont augmenté de 55% l'année dernière. Les système de protection efficaces sont encore à l'état de projet, laissant l'administration américaine à sa peur d'une défaite majeure.»

Voilà, c'est dit. La Chine a donc tout compris avant tout le monde. Et il faut que l'Occident s'équipe de systèmes équivalents. Sinon, c'est la catastrophe. A aucun moment, les journalistes n'ont évoqué la raison d'être du Great Firewall of China (filtrer tous les contenu indésirables et surveiller les communications). On ne fera pas bien sûr un procès d'intention aux deux journalistes. Mais sur Internet, peut-être plus qu'ailleurs, les mesures censées "protéger" le réseau se feront au détriment de la vie privée, et pourront être utilisées pour des applications tout autre (propriété intellectuelle, limitation de la liberté d'expression, etc.). Et quand on prend comme modèle les méthodes d'un état totalitaire, ces mesures sont sans doute plus dangereuses que la menace d'origine. «Voilà, on vous laisse le monde pas tout à fait dans l'état où on l'a trouvé» , conclue Victor Robert, le présentateur de l'émission. Pas sûr qu'il soit meilleur, cette fois.

Pour voir l'émission :

_ http://www.canalplus.fr/index.php?pid=2226 (cliquer sur «partie 2»)

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus