Qui veut la fin de l'Internet illimité?

par Catherine Maussion
publié le 22 août 2011 à 12h28
(mis à jour le 22 août 2011 à 13h35)

Va-t-on vers «la mise à mort de l'Internet illimité dans les foyers français» , comme l'annonce à grand fracas le site d'investigation Owni ? A l'appui de sa prophétie, un document de la Fédération française des télécoms (FFT) listant des propositions pour aller vers plus de transparence tant en matière de gestion de trafic que de qualité de service. Maladresse ? Ce document imagine dans une annexe la mise en place d'offres différenciées selon le débit de la connexion (plus ou moins rapide) et le plafond de la consommation au lieu du forfait actuel illimité. Bref, l'Internet fixe va-t-il suivre l'exemple de l'internet mobile, où certains usages sont prohibés, et la consommation bridée ?

Pourquoi cette menace sur l’illimité ?

Le modèle français de l'Internet fixe, sans égal sur la planète, qui propose pour un prix unique et modique Internet illimité, télévision et téléphone, est à nouveau sur la sellette. Ce standard, imposé par Free à son entrée sur le marché, en 2002, n'est pas du goût de certains acteurs, plus à l'aise avec une gamme large de services, et un foisonnement des tarifs comme dans le mobile. Parallèlement, l'engorgement ponctuel du réseau est souvent invoqué pour discriminer l'accès à Internet, selon que l'on consommerait tel ou tel contenu. Ce qui est une entorse à la neutralité du Net. Dernière déclaration en date ( Le Monde du 19 juillet 2011), celle de Jean-Bernard Levy, le patron de Vivendi, maison mère de SFR, estimant que, «pour optimiser Internet, le trafic doit être géré de façon différenciée» . Et plaidant pour que les éditeurs de contenu puissent «négocier de gré à gré» avec les fournisseurs d'accès Internet afin que leurs contenus soient acheminés de façon privilégiée. De son côté, le régulateur des télécoms, l'Arcep, a demandé aux opérateurs davantage de rigueur dans l'utilisation de certains termes, dont le mot «illimité». Et réclamé des engagements sur une qualité minimale de service (le débit de la connexion, par exemple). Le document publié par Owni peut se lire comme un embryon de réponse au régulateur : «Ce sont des pistes de réflexion que nous avons fait circuler auprès des personnes auditionnées, dont les associations de consommateurs, avant de se revoir à la rentrée» , nous a précisé hier Yves Le Moël, directeur général de la FFT.

Les consommateurs doivent-ils se préparer au pire ?

«Attention ! La FFT ne représente qu'elle-même!» prévient un acteur du marché. C'est-à-dire, et dans l'ordre : Orange, SFR et Bouygues Telecom. Ni Free, ni Numericable, deux acteurs majeurs, ne sont adhérents au lobby du secteur. Le premier s'est dit «plus que réservé sur la pertinence d'une telle proposition» , qui irait «à l'encontre des fondamentaux» . Le second a bétonné qu'il «n'est en rien associé aux réflexions en cours, concernant la limitation des usages de l'Internet fixe» .

L'Arcep se dit aussi sceptique : «Je n'ose imaginer une initiative concertée d'opérateurs, agissant comme un cartel qui dégainerait ses offres» , réagit un membre de son collège, Joëlle Toledano. Les analystes du secteur sont également incrédules. «Les internautes français ont été élevés au biberon des box et de l'Internet illimité avec Free. Ce schéma-là vaut à la France d'avoir à la fois le plus grand nombre de foyers connectés, une bonne qualité de connexion et des acteurs dynamiques» , insiste Stéphane Dubreuil de Sia Conseil. Il faudrait être bien hardi pour noyer ce bébé-là avec l'eau du bain.

Et puis, facturer Internet au compteur signerait un coup d'arrêt aux nouvelles façons d'utiliser le réseau, notamment le cloud computing (le stockage à distance des photos, vidéos et données personnelles) : «Qui accepterait de payer pour simplement regarder son album photo ou ses vidéos ?» s'interroge Dubreuil.

Est-on si sûr que rien ne bougera ?

Il n'empêche que la goinfrerie de certains comportements pose problème. Comme ces internautes qui utilisent des robots de téléchargement et qui créent des perturbations sur leur zone. «5% des internautes consomment 80% de la bande passante» , insiste Yves le Moël. «Le trafic internet est multiplié par douze chaque année» , s'inquiète Stéphane Richard, le patron d'Orange. Alors, faut-il freiner, et comment ?

Sur le mobile, les opérateurs ont trouvé la solution : l’Internet n’est plus illimité, mais le débit dégradé au-delà d’un seuil de consommation (500 Mo, 1 ou 2 Go). Mais ce qui se comprend pour le mobile, en raison des limitations physiques imposées par les fréquences radio, ressource rare et chère, peut-il être audible pour le fixe ? Alors que l’on déploie la fibre optique, dix fois, voire cent fois plus performante que l’ADSL ?

Paru dans Libération le lundi 22 août.

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