Qui veut rafler la mise des paris en ligne ?

par Christophe Alix
publié le 8 avril 2010 à 10h18

Il n’y a pas que les opérateurs qui piaffent d’impatience en attendant l’ouverture officielle des paris en ligne, définitivement adoptée hier par le Parlement. D’abord attentistes, les groupes de médias abattent depuis quelques semaines leurs cartes et multiplient les accords afin de prendre eux aussi leur part d’un gâteau réputé faramineux. Selon le cabinet NPA Conseil, les mises pourraient représenter de 2 à 3 milliards d’euros dès 2010 et rapidement croître jusqu’à un volume global compris entre 4 et 6 milliards en 2013. Une manne plus que bienvenue pour des médias fragilisés par la crise et la mutation technologique et cherchant désespérément de nouvelles sources de revenus. D’après NPA, les médias devraient ainsi capter de 200 à 250 millions d’euros annuels d’investissements publicitaires ces trois prochaines années. Dans certains cas, les accords passés avec la cinquantaine d’opérateurs de jeux d’argent en ligne qui devraient faire acte de candidature sur le marché français vont plus loin encore que la signature d’un partenariat publicitaire et éditorial.

La légalisation du jeu en ligne est l’occasion de franchir le pas et d’organiser directement la prise de paris, au même titre que la Française des jeux (FDJ), le PMU ou Betclic, en misant sur ce nouveau relais de croissance. Revue d’effectifs des différentes stratégies médiatiques pour prendre sa part d’un tripot virtuel dont le coup d’envoi devrait coïncider avec celui de la Coupe du monde de foot, le 11 juin prochain.

TF1, la tentation hégémonique

Après la construction, la télévision et les télécoms, le groupe Bouygues veut s’imposer à la table des jeux d’argent sur Internet. Et joue sur plusieurs tableaux. Tout récemment, la chaîne a «fait tapis» en annonçant simultanément un giga partenariat d’exclusivité d’une durée de trois ans avec la FDJ et la prise de contrôle du site de paris sportifs Eurosportbet.com. Déjà actif en Grande-Bretagne, ce site comptait déjà TF1 parmi ses actionnaires via sa filiale Eurosport qui en détenait 50%. En rachetant début mars l’autre moitié du capital détenu par le fonds d’investissement Serendipity créé par son ancien PDG, Patrick Le Lay, TF1 est ainsi devenu officiellement opérateur de jeux en ligne.

Sauf que Eurosportbet.com devrait garder sa propre marque, sans relation commerciale avec TF1. A l'inverse de la FDJ qui ambitionne de devenir le premier opérateur de jeux européen et auquel la chaîne a déroulé le tapis rouge sur son site en lui dédiant un espace spécifique consacré à ses loteries, paris sportifs et activités de poker en ligne. «TF1 a neutralisé Le Lay en rachetant la totalité d'Eurosportbet mais en réalité Martin Bouygues vise bien plus haut , confie un proche du dossier, il sera candidat au rachat de la FDJ lorsque cette dernière sera privatisée et place ses pions en conséquence.» Une stratégie en phase avec celle de l'Elysée qui entend favoriser l'émergence dans le jeu en ligne d'un «champion français».

Amaury, la rente sportive

Avec TF1, c'est l'autre groupe de médias qui s'apprête à faire acte de candidature pour une licence. Propriétaire des quotidiens le Parisien et l'Equipe et d'Amaury Sport organisation (ASO), qui organise le Tour de France, cette entreprise familiale prépare activement son arrivée. Avec un double objectif : à court terme, profiter de la manne publicitaire pour ses propres titres, en recul depuis plusieurs années ; à plus long terme, investir sur sa propre marque de paris sportifs, Sajoo.fr, qui deviendrait alors le troisième pilier du groupe.

Dans le premier cas, le groupe Amaury anticipe 5 à 10 millions d'euros de recettes supplémentaires annuelles en accueillant «sans exclusive tous les annonceurs du jeu» , précise Christophe Blot de Sajoo.fr. Dans le second, l'objectif est d'atteindre l'équilibre en trois ans avec «l'outsider» Sajoo.fr qui proposera des paris sportifs mais aussi du poker et pourquoi pas des courses. Pour parvenir à cet objectif, très ambitieux au regard des moyens déployés (une équipe de quelques personnes, des partenariats modestes comme avec Boursier.com), le groupe Amaury s'est allié avec Bwin, le deuxième opérateur européen d'origine autrichienne dont Bernard Arnault (LVHM) est actionnaire. Contre 45% de Sajoo et un accès d'annonceur privilégié aux titres du groupe Amaury, Bwin a fourni clé en main sa plateforme technologique. Afin de faire décoller Sajoo et de garantir à ses annonceurs le meilleur retour sur investissement, le groupe Amaury réfléchit en outre à la mise en place éditoriale de contenus «d'aide à la décision» autour des paris en ligne. «Il s'agit d'une nouvelle étape dans la consommation de médias sportifs , explique Christophe Blot. Demain, notre public ne sera plus seulement lecteur, téléspectateur ou internaute, il deviendra également un acteur en pariant sur les compétitions sportives.»

À l’exception de celles organisées par ASO, puisque la loi a heureusement interdit la prise de paris sur ses propres événements sportifs, sans prévenir pour autant les nombreux cas de conflits d’intérêts potentiels.

Radios relookées

À l'inverse de TF1 ou de l'Equipe , certains médias se contentent de capter la manne publicitaire de ce nouveau marché en adaptant en conséquence leur grille. C'est le cas de RTL, RMC ou Europe 1 qui draguent les Bwin, Unibet, FDJ et autres PMU en leur mitonnant des émissions spécialement conçues pour transformer les auditeurs en futurs parieurs. «Où en sera le journalisme sportif dans quelques années ? s'inquiète le député socialiste Gaëtan Gorce, opposé à cette libéralisation du secteur. Il risque de devenir de plus en plus dur de distinguer dans une émission ce qui est de l'ordre de l'information, du commentaire ou de la publicité pour un site de paris. On va vers une grande confusion des genres.» Très à cheval sur cette «contextualisation» éditoriale, comme ils l'appellent, les opérateurs se sont attaché les radios en signant des contrats exclusifs de plusieurs années. En échange, les médias bénéficient d'un minimum de pub garanti mais sont aussi intéressés en général au recrutement de joueurs via leurs sites. RTL a ainsi signé avec la FDJ, RMC avec le PMU, qui proposera des paris non seulement hippiques mais aussi sportifs, et Europe 1 avec Betclic, propriété de l'homme de médias Stéphane Courbit, qui a de plus remporté un appel d'offres pour fournir un service de jeux en ligne sur les sites de titres de la presse quotidienne régionale.

Même le Monde vient de céder à cette vogue des partenariats avec la mise en place d'une plateforme commune avec l'opérateur britannique Sportingbet. Entre deux éditoriaux de politique étrangère, elle permettra de prendre directement des paris depuis la chaîne sport du site du quotidien. De quoi «rapporter quelques centaines de milliers d'euros par an» , explique Philippe Jannet, PDG du Monde interactif. Sportingbet a déjà signé des accords de ce type avec des médias anglais comme le Guardian , tandis que l'édition en ligne du Times tire une partie substantielle de ses revenus des accords passés avec des bookmakers.

Paru dans Libération du 7 avril 2010

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