Radios garanties avec conservateurs

par Tania Kahn
publié le 9 octobre 2012 à 13h07

Ils promènent leurs incorrigibles langues sur les radios et libèrent une parole décomplexée, flirtant sans ambages avec l’extrême-droite : les chroniqueurs et polémistes de droite ont envahi les ondes, en cette rentrée. Pour eux, l’avènement d’un gouvernement de gauche est une aubaine, une occasion de plus de diffuser leur pensée réac.

Cette année, Natacha Polony, Nicolas Beytout et Alexis Brézet viennent grossir les rangs d’une tribu déjà nombreuse.

Selon Alain Duhamel (1), «la tendance est aux polémistes de droite mais c'est surtout une question de période. Après la guerre d'Algérie, par exemple, les polémistes d'extrême droite étaient omniprésents tandis qu'après 1968, ce sont ceux de gauche et d'extrême gauche qui monopolisaient le débat.»

En tout cas, les radios en sont friandes, au point que chacune s’est flanquée de son bateleur maison, s’offrant, depuis le retour de la gauche, une indépendance à bon compte.

Sur Europe 1, c'est Natacha Polony qui s'y attelle. Connue pour son rôle de chroniqueuse de droite dans l'émission de Laurent Ruquier On n'est pas couché (France 2), elle se livre tous les matins sur les ondes à une revue de presse éditorialisée , à droite toute contre François Hollande. Fabien Namias confirme ses qualités de «journaliste, chroniqueuse et polémiste» et, bien sûr, «son esprit critique» . Mais sur la couleur politique de Natacha Polony, le directeur de l'information d'Europe 1 joue l'ingénu : «Je ne sais pas si elle est de gauche ou de droite. Son étiquette dite de droite tient surtout au fait qu'elle intervenait aux côtés d'Audrey Pulvar. Mais Natacha Polony a aussi travaillé pour Marianne.» D'aaaccord.

Sur RTL, après un flou au début de l'été, où bourdonnait le cancan de l'éviction d'Eric Zemmour, totem du polémiste de droite, ce dernier est finalement reconduit, mais pour seulement deux chroniques hebdomadaires au lieu de cinq l'an passé. Solution en demi-teinte qui traduit les hésitations de la station, bien consciente que Zemmour fédère une partie de son audience dont les oreilles penchent à droite : une étude Marianne-Ifop d'avril 2012 indique que RTL séduit 63% d'auditeurs de droite et du FN. Peut-être est-ce aussi un premier pas vers une porte de sortie, déjà franchie par son confrère Robert Ménard, expulsé l'année dernière pour ses dérapages extrémistes. Explication officielle de Christopher Baldelli, président de RTL : «La critique de la pensée dominante est un exercice trop difficile et répétitif pour rester originale cinq fois par semaine.»

La médiatisation de ces compagnons de pensée coïncide avec la radicalisation du discours politique de droite et l'avènement de Nicolas Sarkozy, à l'Intérieur d'abord puis à l'Elysée. «Il y a cinq ans , raconte l'extrêmement droitier éditorialiste du Figaro Ivan Rioufol, je n'étais jamais sollicité par les médias parce que je décrivais une réalité qui dérange. Et puis, fin 2006, Nicolas Poincaré m'a proposé d'intervenir sur RTL et par effet d'imitation, j'ai été invité partout.» Cependant, depuis les élections, il constate qu' «il y a un rétropédalage évident des médias, je n'interviens plus sur i-Télé ni sur France 5» . Et d'ajouter, avec le sens de la mesure qu'on lui connaît : «Tout cela est lié aux opérations d'intimidation à répétitions de la presse de gauche.»

Autre trophée RTL, Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro . Il tient depuis la rentrée une chronique tous les samedis, RTL Opinions . Moins dogmatique et sarkozyste que son prédécesseur, Etienne Mougeotte, il représente une ligne très à droite (il a été directeur de la rédaction de Valeurs actuelles ), libérale sur le plan économique et conservatrice sur les sujets de société.

Quant à la station RMC, elle reconduit pour la troisième année Éric Brunet, auteur visionnaire de l'essai Pourquoi Sarko va gagner (Albin-Michel). Son émission, Carrément Brunet , est une quotidienne de libre antenne, où il affiche ses opinions franchement réactionnaires face à des auditeurs souvent acquis à sa cause.

Côté service public, France Inter innove avec un éditorial hebdomadaire réservé le lundi à Nicolas Beytout. L'ancien PDG des Échos est aussi un représentant estampillé de la droite libérale, lui qui célébra l'élection de Nicolas Sarkozy au Fouquet's. Et Philippe Val, directeur de la station, de déclarer : «Nicolas Beytout propose une analyse de l'actualité, ses prises de positions ne sont pas idéologiques.» Comme Namias avec Polony, le patron de France Inter a du mal à assumer les opinions de son éditorialiste. Si la tendance est aux chroniqueurs de droite, il semblerait que leurs patrons soient les seuls à ne pas le remarquer.

(1) Collaborateur de «Libération».

Paru dans Libération du 8 octobre 2012

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