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Libération
bourre-paf

Rémy Pflimlin à la masse

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 7 juin 2013 à 21h21
(mis à jour le 8 juin 2013 à 17h00)

Soudain, empoignant ses grilles de programmes tel Pete Townshend sa Rickenbacker fumante de larsens pour la fracasser contre son double ampli Marshall sur la scène du Marquee en 1967, Rémy Pflimlin… Houla, mais qu'est-ce qui nous arrive ? Voilà qu'on compare le leader de France Télévisions au président des Who. Tout ça parce que Rémy Pflimlin a supprimé Des mots de minuit, le Journal de la nuit, Taratata, Chabada et CD'Aujourd'hui ? Hé bien oui. Enfin presque : parce qu'avant de supplanter dans nos petits cœurs mods le héros de la destruction rock, Pflimlin a encore du boulot. Car enfin, Rémy, Rémy, Rémy, quand on a 150 millions d'euros d'économies à faire, on ne peut pas se contenter d'un gentil petit coup de gratte éraflant à peine le coin de l'ampli. Pete te le dira, invoquant son mentor, l'artiste allemand Gustav Metzger, créateur du courant autodestructif : il faut tout casser. Tout péter. Tout foutre en l'air. Des mots de minuit et Taratata, franchement, ne sont que vétilles : ce sont toutes les grilles de France Télévisions qu'on va désormais zigouiller.

Au nom des économies

Puisqu'il faut être raisonnable et que les trois chaises dépareillées des Mots de minuit étaient encore trop onéreuses pour les finances étiques de France Télévisions, alors détruisons l'impossible Toute une histoire de Sophie Davant. C'est l'inflation du budget perruques et lunettes noires destinées aux témoins anonymes qui nous contraint à prendre cette triste décision et pas, évidemment, les thèmes très service public de l'émission : «Ils ont vécu un amour interdit», «Mon amant est mort»… De même Grand Public, le magazine consacré à l'automobile que présente le jeudi soir sur la Deux Aïda Touihri, assise dans une bien trop luxueuse décapotable. Hein ? Une émission culturelle ? Vous devez confondre avec Turbo.

Au nom du droit à la retraite

Représentant à eux deux 43% de la masse salariale totale de France Télévisions (11 000 personnes), William Leymergie, 166 ans, et Michel Drucker, 270 ans, seront accompagnés en déambulateur à la compta (note à la DRH : attention à Leymergie, il mord) pour y percevoir leur solde de tout compte. De Télématin, on ne conservera que la pendule incrustée à l'écran, pratique pour être à l'heure au boulot. Et de Vivement dimanche, seul sera sauvé le canapé rouge filmé en plan fixe afin de procurer au téléspectateur le même effet soporifique que du temps où Michel Drucker y recevait Leny Escudero, Roland Magdane et la patrouille de France (c'était le mois dernier). Cyril Féraud, animateur aux dents phosphorescentes de France 3, sera également mis à la retraite. Oui, à 28 ans, mais il fallait abréger ses souffrances aux manettes du jeu Slam.

Au nom de l’indépendance

Rémy Pflimlin le disait encore mercredi dans Libération : «France Télévisions doit désormais voir clarifier les moyens de son indépendance.» On va te la clarifier, nous, ton indépendance, Rém : ouste Catherine Ceylac et son Thé ou Café. Une télévision publique ombilicalement séparée de l'exécutif ne peut souffrir d'abriter en son sein la compagne du dircom de l'Elysée, Claude Sérillon. Ça nous coûtera de ne plus entendre Catherine fredonner les chansons de ses invités, surtout la Grande Sophie, mais l'indépendance est à ce prix. C'est la même affliction qui nous étreint à l'idée de nous séparer de Laurent Ruquier, dont l'engagement politique à l'extrême gauche de François Bayrou est une verrue sur l'indépendance de France Télévisions. Et que dire du déchirement que nous inspire l'obligation de renvoyer Patrick Sébastien ? Mais son amitié, revendiquée en plus, avec François Hollande nous amène à regret à tirer un trait sur le Plus Grand Cabaret du monde et les Années bonheur. Ainsi qu'à interdire d'antenne publique sa chanson dédiée au Président, l'un peu rosse C'est bien fait pour ta gueule.

Au nom que ça nous fait plaisir

Les éconocroques, c'est bien gentil, mais il faut savoir aussi se faire plaisir, sinon on devient aigri. Alors, réduisant au passage à néant quelques espèces protégées qui peuplent le marais léchant la maison où se tourne l'émission, c'est au bulldozer qu'on détruit la Parenthèse inattendue de Frédéric Lopez. Suffit, les larmoiements régressifs où des demi-vedettes chouinent en réécoutant le 45 tours de leur enfance. Et la Grande Librairie, oups, désolés, mais la chenille de notre bulldozer vient malencontreusement de percuter son présentateur, François Busnel. Il chuintera pour quelque chose, désormais. Enfin, ça nous fait très très zizir et en plus c'est utile : le service des sports de France Télévisions est supprimé et, avec lui, la manie du name-dropping de ses commentateurs : hasta luego Lionel, arriverdeci Gérard, bye-bye Nelson. Et place à des événements sportifs - oui, on les garde, enfin juste le curling - totalement silencieux, sinon le doux «shhhh…» du granit écossais sur la glace bleutée.

Au nom que tout doit disparaître

Comment ça, on a l'air burn-outé ? Pasdutoutpasdutoutpasdutout. Hein ? Quoi ? Qui nous parle ? Supprimer les docus du dimanche sur France 5 à cause de leur titre systématiquement à base de «dans les coulisses», d'«abus», d'«arnaques» ? Oui, ô maître, nous éradiquons. Que dis-tu, ô maître ? La mèche de Laurent Delahousse, celle qui savamment et immanquablement à 20 h 28 s'échappe de sa chevelure mouvante ? Oui, ô maître des ténèbres, nous coupons. Et le journal de 20 heures, on s'est permis de le porphyriser de notre propre chef, ô maître du mal. Des racines et des ailes campant encore une fois au Mont Saint-Michel ? Bien sûr, ô maître très méchant, c'est déjà fait, zou, rasé, enterré, noyé de même que Thalassa et toute la poiscaille. Ce soir (ou jamais !) ? Ô grand maître de la désolation, vous êtes tellement maléfique. Jetant aux cieux des rires sardoniques, nous voici sur les ruines encore chaudes des grilles de France Télévisions, d'où jaillit une petite musique, seule rescapée de notre grand œuvre de purification : «Mo-mo-motus.»

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