Critique

«Reporters», zone à risque

Série. Bien emballée , la saison 2 se perd dans une intrigue fouillis.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 18 mai 2009 à 10h01
(mis à jour le 18 mai 2009 à 10h01)

Produire une série française mettant en scène des journalistes, c'est malin : vous êtes sûrs d'avoir une abondante couverture presse. Ah zut, on est tombé dans le panneau. Mais concernant Libération, c'est dans le mille que tombe Reporters. Regardant la première saison diffusée il y a deux ans sur Canal +, on s'était dit : «Ho-ho.» Mais quel est donc ce mystérieux journal qui s'appelle 24 Heures, a été fondé en 1975 par un «groupe d'amis» ? Lequel mystérieux journal est, au moment du premier Reporters, dans les années 2000, sur le point de changer de mains… Ajoutez à cela qu'est venu s'adjoindre cette saison à l'équipe de scénaristes emmenée par Olivier Kohn un certain Sorj Chalandon, trente-quatre ans de Libé au compteur, qu'il a quitté en 2007, et vous comprendrez que, dans Reporters, «on» (Libération) est chez nous.

Avec Sorj à la plume, forcément, c'est du vécu, coco. Après la mort de son patron historique en fin de première saison, 24 Heures, racheté par le forcément infâme Dewilder (Jean-Claude Dauphin, terrible), se cherchait un nouveau directeur de la rédaction : Florence Daumal, issue du journal, ou Serge Attal, venu de l'extérieur que tente d'imposer le proprio ? Comme à Libération, les candidats s'expriment devant l'équipe. «Pour sortir du rouge, il faut 40 départs», annonce Daumal. Attal se présente : «Je vous connais tous, parce que je vous lis tous les jours depuis trente ans.» C'est la phrase d'introduction d'Edwy Plenel venu, en 2006, présenter un projet de reprise de Libération à la rédaction.

Pelotes. La fiction prend, ensuite, le pas sur la réalité (ou pas) : Daumal remporte les suffrages de l'équipe, mais Attal est bombardé chef du web. D'où il tente de convertir à Internet les journalistes du papier. Michel Cayatte, vieux de la vieille, voix de rogomme patinée au scotch (Patrick Bouchitey, perfecto), ne se voit pas raconter en live pour le web les procès qu'il suit pour le papier : «Ouais, et je rajoute une ligne à chaque fois que le procureur se gratte le cul ?» Et le récalcitrant d'envoyer le bimédia aux pelotes : «Moi je veux bien être bi, mais à condition d'être prévenu quand je me fais enculer…» Sorj, Sorj, Sorj…

Pour autant, Reporters ne se résume pas à un crypto-Libération. Non, il y a aussi un crypto-TF1. Le récit de la série, produite par Capa Drama, zigzague entre 24 Heures et TV2F, chaîne de télé présentée comme publique mais qui ressemble beaucoup plus à TF1. Là, tout n'est qu'intrigues, ambitions, coucheries multiples à visée hiérarchique (dont celle de la directrice de l'info avec le président du CSA). Et gros bidonnage à la PPDA-Castro quand le présentateur vedette (Jérôme Bertin ancien de LCI reconverti dans la comédie) remonte l'interview d'un ambassadeur qu'il n'a jamais rencontré pour y insérer ses propres questions. Dents longues et blanches rayant le parquet et la déontologie : c'est la télé. Dents jaunes et joues bleuies de barbe à force de nuits sans sommeil (trop de boulot, l'arrêt de l'alcool et le métier qui se meurt) : c'est la presse écrite.

Mais si Reporters est précis et réjouissant sur les détails, c'est la vision d'ensemble qui pèche. Car voilà : filmer un journaliste de télé en train de monter un sujet ou un rédacteur en train de peiner sur son ordinateur, c'est à peu près aussi passionnant que regarder de l'herbe pousser. Le journalisme a d'ailleurs longtemps fait partie des sujets impossibles à aborder dans une fiction télé. Du coup, Reporters saison 2 vire au thriller survitaminé. Avec une réalisation qui fait dire que, oui monsieur, en France aussi, on peut filmer comme dans 24 Heures chrono.

Barbouzes. Mais l'intrigue principale de la saison tend à éparpiller le téléspectateur. Il s'agit d'un complot, que tente de résoudre Grégori «Tintin» Dérangère, à base de marchands d'armes, d'attentats islamistes, d'intermédiaires suisses, de commissions occultes, de barbouzes françaises, de politiciens pourris, d'actrice maîtresse de Premier ministre, n'en jetez plus…

Du métier de journaliste, on ne voit finalement que la surface et rarement le travail. Ou l’excitation. Idem pour les personnages qui font peu dans la dentelle : directrice de la rédaction ambitieuse et tiraillée, syndicaliste évidemment vendu au patron, chef du web fourbe et duplice déclamant du Lazareff… Pierrot-les-bretelles, hein ? Canal-les-grosses-ficelles plutôt.

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