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Libération

Retrouvez le CSA sur Facebook et Twitter !

par Alexandre Hervaud
publié le 30 mai 2011 à 15h47
(mis à jour le 30 mai 2011 à 16h38)

Même s'ils ne représentent qu'une fraction du trafic des sites d'infos comparés au tout puissant Google, les réseaux sociaux constituent une source d'audience non négligeable pour les médias en ligne, en particulier Facebook et ses plus de 500 millions de membres. Une étude publiée au début du mois par le Pew Research Center en association avec Nielsen démontrait ainsi l'influence grandissante du mammouth 2.0. créé par Mark Zuckerberg (et aussi, mais de manière bien moindre, Twitter avec ses 200 millions de comptes, pour la plupart inactifs).

Pour les sites d'informations, cette audience issue de réseaux sociaux provient soit de liens postés par les utilisateurs lambda, toujours prêts à flooder le fil d'actualité ou la timeline de leurs «amis» et «abonnés», soit des liens publiés directement par les médias en questions sur leur page Facebook ou profil Twitter officiels respectifs. Conséquence de ce deuxième cas de figure : la «course aux fans» à laquelle se livrent les médias en question en précisant à longueur d'émissions (lorsqu'il s'agit de radio ou de télévision) que leurs auditeurs ou téléspectateurs peuvent rejoindre ces espaces. Des espaces gérés par les médias eux-même et leurs fameux community managers (bon, à Ecrans, on fait tout hein...), mais appartenant à une entreprise tierce (Facebook, Twitter, etc.). Il n'est ainsi pas rare d'entendre les présentateurs de chaînes d'information en continue appâter le chaland à grand coup de «retrouvez-nous sur Facebook» , «plus d'info via notre Twitter» et autre «allez soyez cool, pokez-nous» . Et c'est bien ce qui a fâché le vénérable Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA), toujours prompt à se lancer dans des batailles de la plus haute importance.

Le CSA a ainsi fourni la semaine dernière l'analyse suivante concernant le renvoi sur les pages des réseaux sociaux, considérant que «le renvoi des téléspectateurs ou des auditeurs à la page de l'émission sur les réseaux sociaux sans les citer présente un caractère informatif, alors que le renvoi vers ces pages en nommant les réseaux sociaux concernés revêt un caractère publicitaire qui contrevient aux dispositions de l'article 9 du décret du 27 mars 1992 prohibant la publicité clandestine» . Ledit article précise que «constitue une publicité clandestine la présentation verbale ou visuelle (...) d'un prestataire de services dans des programmes, lorsque cette présentation est faite dans un but publicitaire» .

Avant d'évoquer les conséquences possibles de cette décision, signalons bien qu'il ne s'agit pas là d'interdire toute mention de Twitter ou Facebook à l'antenne, contrairement à ce que l'on a pu lire ci et là (surtout sur Twitter...) ces derniers jours. Il n'est donc pas question pour les journalistes télé de s'abstenir de dire «regardez cette photo prise par un utilisateur de Twitter» et autre «d'après ce statut Facebook de Xavier Dupont de Ligonnes...» , les marques étant ici évoquées pour citer la nature d'une source et non faire de l'autopromo des pages. Passons aussi sur les argumentations foireuses confondant la citation de noms de sites d'infos pure player avec l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui...

Concrètement, le CSA demande aux chaînes de ne pas répéter ad nauseam le nom des réseaux sociaux sur lesquels elles sont présentes en invitant leurs spectateurs à les y rejoindre, rien de plus. Sachant que certain noms de sites se sont imposés dans le langage courant, créant parfois de nouveaux verbes (googler étant le principal exemple...), et compte tenu du service particulier fourni par lesdits sites, on peut douter du bien-fondé de la décision, surtout eu égard des pratiques mises à l'œuvre à l'étranger. Les médias américains ont clairement adopté Facebook et Twitter comme des moyens d'échanger avec leur public, quitte à transformer la sempiternelle pratique du micro-trottoir en lecture inutile de statuts ou tweets à l'antenne. La différence entre la France et ce genre de stratégie rappellera à certains fans de séries les versions françaises de feuilletons où le mot «Coca» se transforme ainsi en «soda».

La comparaison s'arrête à l'aspect «circonvolutions verbales pour parler d'une chose sans la nommer» , il ne s'agit bien sûr pas de rapprocher le placement de produit dans les fictions à la citations de service high tech par les médias. La véritable question posée par l'analyse du CSA est celle de l'autopromotion de certains médias (car elle ne s'agit rien de plus, au final) qui, par la notoriété de certains services en ligne, peut prendre l'allure de pub cachée pour lesdits services. Aux yeux de certains, comme l'avocat spécialisé en propriété intellectuelle Cédric Manara, «le CSA confond la citation de marque à des fins de désignation et celle faite à des fins de promotion» . Attention, cette déclaration est tirée de son compte Twitter mais ne saurait être prise pour une pub cachée... Contacté par Ecrans, Manara confirme sa surprise devant pareille décision, évoquant «une négation du fait que Twitter et Facebook sont des plateformes» , et qu'une émission étant faite pour être regardée, «il parait naturel de pouvoir renvoyer les spectateurs vers leurs miroirs naturels du web, ces excroissances» , l'acte tenant plus de l'autopublicité qui est gratuite et autorisée en France que d'une promotion d'entreprise tierce.

En s'engageant sur ce terrain, le CSA risque fort d'avoir à renouveler ses recommandations : par sa domination du marché des smartphones et des tablettes tellement prisés par les médias, Apple reçoit clairement autant sinon plus de «publicité clandestine» tous les jours par les médias invitant leur audience à «télécharger leurs applications mobiles sur iPhone et iPad» ...

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