Riposte graduée : Reding a la moutarde qui lui monte au nez

par Astrid GIRARDEAU
publié le 8 octobre 2008 à 19h25
(mis à jour le 12 octobre 2008 à 8h26)

Ce qui se passe dans les coulisses du vote de l'amendement 138 du Paquet Télécom peut sembler un peu bizarre. Entre débats et pressions, certaines positions se renforcent, et d'autres font la girouette. Par exemple, celle de Viviane Reding, la Commissaire à la Société de l'information.

Après des débats sous haute tension depuis plusieurs mois, le 24 septembre dernier, 88% des parlementaires européens ont voté ce texte qui établit que seule l'autorité judiciaire, et non une autorité administrative, peut restreindre les droits et libertés fondamentales. Dont l'accès à Internet. Depuis, se multiplient les insultes publiques -- par exemple Pascal Rogard, directeur général de la SACD, de conseiller un «bon traitement psychiatrique adapté au délire paranoïaque» au député européen Guy Bono à l'origine de l'amendement -- et les pressions du gouvernement français, et de l'industrie culturelle, pour relativiser, puis faire annuler le texte.

Suite à la publication ce lundi de la lettre envoyée par Nicolas Sarkozy à José Manuel Barroso, le président de la Commission Européenne, pour faire rejeter le texte, la Commission s'est retrouvée dans une position assez inconfortable. Face à la requête sans détour du président français (et président par intérim de l'Union Européenne), c'est toute sa crédibilité qui était en jeu. La Commission a donc, assez logiquement, rejeté publiquement , et de façon assez virulente, la demande de Nicolas Sarkozy.

Aujourd'hui, on apprend que Viviane Reding a annulé sa venue aux Rencontres de Dijon 2008, les 18 au 21 octobre prochain. Organisées par l'ARP, la société des Auteurs Réalisateurs Producteurs, elles sont décrites comme «rendez-vous incontournable pour les auteurs et professionnels de l'audiovisuel.» «J'ai toujours été à vos côtés» , indique t-elle dans une lettre ( pdf ), que s'est procurée Libération , à Jean-Paul Salomé, le président de l'ARP, avant d'expliquer pourquoi il lui sera impossible d'assister aux Rencontres.

«J'ai toujours soutenu des solutions équilibrées et adaptées pour protéger la propriété intellectuelle et pour assurer une lutte efficace contre le piratage. J'ai regardé avec intérêt la France tester un modèle possible de la “riposte graduée”. Voilà pourquoi je regrette que la polémique entre “producteurs de contenu” et “partisans d'un internet libre” soit arrivée à des sommets tels, qu'à un certain moment, ces tentatives ont même mis en danger les propositions de la Commission européenne pour renforcer, d'une manière souple et réfléchie, la place du contenu dans la règlementation télécom.»

Elle poursuit : «en tout état de cause, les instances européennes ne doivent pas se laisser instrumentaliser pour obtenir le cautionnement d'un modèle spécifiquement national à l'échelle communautaire. Dans ces circonstances, je juge inapproprié, en tant que Membre de la Commission Européenne, de venir à Dijon intervenir dans ce débat national. La Commission se doit de rester neutre pendant la durée du débat français en cours.»

Mais pourquoi cette lettre, et surtout ce revirement soudain ? On se souvient qu'au lendemain du vote, Viviane Reding annonçait qu'elle rejetterait l'amendement. Ce à quoi Guy Bono répondait : « La position de Madame Reding est scandaleuse! (...) Les propos de Mme Reding ne font qu'empirer l'image de la commission européenne caractérisée par son déficit démocratique.»

Il est probable que Madame Reding ait peu apprécié le contenu de la lettre -- et sa médiatisation--, envoyée par Nicolas Sarkozy. Et l'apparente tentative d'instrumentaliser l'Europe. Le fait que toute la communication autour du Paquet Télécom soit trustée par un simple amendement peut aussi énerver. Elle peut donc vouloir prendre du recul dans cette affaire, et ainsi faire tomber la pression autour d'elle. «Elle n'a pas intérêt à se pointer à Dijon, sinon, avec tous les producteurs présents, ça va chauffer pour elle» , nous indiquait-on samedi dernier dans l'entourage de Christine Albanel.

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