Roumanoff, les vacances de l’humour

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 1er octobre 2012 à 16h00

Blague : Cécile Duflot refuse de quitter le gouvernement ; normal, la ministre du Logement ne veut pas devenir la ministre du Délogement… Une autre ? Allez, si, on insiste. SI, ON VOUS DIT, ON VOUS EN RACONTE UNE AUTRE. Jean-François Copé qui vole au FN le thème du racisme anti-Blancs, c'est Jean-François Copié… Ah, on la voit déjà sourdre de vos doigts et faire baver les jolis petits caractères d'imprimerie de notre journal, la sueur du malaise déclenché par ces vannes toutes pourrites. Navrés de nous être ainsi joués de vous au cours de cette expérience cognitivo-conne, mais il fallait bien ça pour que vous appréciiez le calvaire que nous vécûmes à nous appuyer deux semaines de Roumanoff et les garçons . On parle bel et bien de la comique toute rouge.

Depuis le lundi 17 septembre 19 h 45, Anne Roumanoff présente sur France 2 une pastille (oui, mais à l'huile de foie de morue) humoristique quotidienne, dont le titre, on l'espère, est censé exprimer la même sidération ressentie il y a des lustres en tombant sur les lamentables aventures d' Hélène et les garçons . Mais allez savoir pourquoi, on a l'impression que vous n'avez pas bien jaugé le vide abyssal de Roumanoff et les garçons (çons… çons… çons… Le vide est tel qu'il y a de l'écho, c'est fou, ça). Vous n'osiez pas demander de peur qu'on dise oui : d'accord, on vous raconte Roumanoff et les garçons depuis le début.

Lundi 17 septembre

Les sept minutes sont nichées juste avant 20 heures : de la pub, un programme court sponsorisé par Tatal (pas de pub gratuite dans Libération ), le sommaire du 20 heures, une bande-annonce et juste derrière Roumanoff, la météo, une nouvelle page de réclames et David Pujadas. Dire si l'horaire est stratégique, calé entre les deux dernières pubs de la journée pour servir de propulseur à audience pour le JT. Faut du lourd. Du brutal. De quoi vous hameçonner le téléspectateur : «Le Président dit que payer ses impôts c'est être patriote , lance Roumanoff au lendemain de l'allocution télévisée de François Hollande, remarque, quand on voit sa feuille d'impôts on est bleu, quand on fait son chèque, on est blanc et après on est dans le rouge.» Nos mâchoires tombent et nos oreilles bourdonnent. Il nous semble entendre un jeune homme lâcher cette saillie : «Le gaz augmente, bientôt y aura plus besoin de se suicider, il suffira d'ouvrir sa facture.» Tout tourne, nous perdons l'équilibre, un tunnel, la lumière blanche.

Mardi 18 septembre

Hagards encore, nous vérifions l'enregistrement de la veille. Ah tiens, terrassés par l'humour, nous avions tout oublié du générique (sur fond de ce genre d'infâme scie à base de trompettes qui habillent des trucs façon Vidéo Gag ) où Anne Roumanoff (en rouge) est assise sur un fauteuil (rouge itou) éjectable. Un signe, peut-être. Tout oublié aussi du plateau, à faire passer celui des Z'amours , qui traîne ses mêmes similis Lichtenstein depuis cent cinquante ans, pour le Taj-Mahal : une microscène ronde plantée d'espèces de grands pétales. Au milieu, Roumanoff ; sur les côtés, trois types. Et c'est le même cauchemar qui se répète ce mardi : Anne Roumanoff, encadrée dans une bulle de BD, balance des vannes et les trois «garçons», qui semblent faire profession de comique, aussi. En même temps, hein, pendant qu'ils font ça, ils brûlent pas des voitures. Une nouveauté par rapport à la veille : chaque blague est ponctuée d'un petit son indiquant que ça y est il est temps de rigoler. Exemple : «Entre Copé qui a la langue de bois et Fillon qui a la jambe dans le plâtre, l'UMP c'est Castorama.» Et «chpip !» on rit (si on veut, si on peut).

Mercredi 19 septembre

Débat éthique à Libération : faut-il livrer à la vindicte de nos lecteurs le nom des humoristes débutants qui, à tour de rôle, jouent les «garçons» de Roumanoff ? Eh bien non. Ça prend trop de place. Et peut-être ces jeunes ont-ils un avenir. Mais gare, se pointer au Pôle Emploi en disant à son conseiller «mais si, voyons, c'est moi qui sur France 2 ai imité François Hollande chantant à Valérie Trierweiler "Ne me tweete pas" sur l'air de Brel…» , ça n'aidera pas.

Jeudi 20 septembre

En trois jours, Roumanoff et [ses] garçons ont perdu près de 400000 téléspectateurs : 1,4 million de personnes ce jeudi et 7,5% de parts d'audience. Mais peu nous chaut le tombereau d'insultes que récolte l'émission sur Twitter auquel fait ce jour-là allusion Anne Roumanoff ( «continuez à nous laisser vos commentaires sur les réseaux sociaux, on se fera un plaisir de ne pas en tenir compte» ), nous ne céderons pas à la facilité de suivre la populace qui frise les 5 millions d'individus devant Nos chers voisins , la mini-série de TF1 en face. Non, nous, on reste devant cette parodie de Confessions intimes où Roumanoff s'est grimée en épouse délaissée d'un Gypsy King. Ça s'appelle la conscience professionnelle.

Vendredi 21 septembre

Petit coup de mou en cette fin de semaine devant le sketch imitant la série à succès de M6 Scènes de ménages , avec une Audrey Pulvar hystéro parce qu'un Arnaud Montebourg lui a remplacé ses lunettes par d'autres made in France fabriquées «par un forgeron des Vosges» . Blues.

Lundi 24 septembre

Des changements ont été pratiqués dans l'ordre des séquences, un fond d'écran rajouté ici, l'emplacement des «garçons» modifié là, un gros plan sur le public riant et applaudissant incrusté. Ça sent la panique. Appelez ça le syndrome de Stockholm, mais voilà qu'ils nous font de la peine. Vite dissipée par une fausse pub pour un groupe vocal corse, I Bombini qui chante «Boum quand ta maison fait boum» avec un saucisson en guise de micro.

Mardi 25 septembre

Cette fois, c'est trop, nous exerçons notre droit de retrait. Non, la parodie de la pub Carglass avec DSK, ce n'est pas possible : «Si votre copine a une petite fissure, je viens chez vous la remplir avec ma petite résine. Dodo répare, Dodo remplace.» Et Dodo, y les répare les journalistes en burn-out ?

Paru dans Libération du 29 septembre 2012

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