Royaume-Uni: les moches dessous d'Habbo

par Sophian Fanen
publié le 13 juin 2012 à 19h02

Habbo Hotel est muet depuis hier. Le réseau social dédié aux ados, qui peuvent y évoluer dans un environnement kawai, acheter des meubles et objets divers pour décorer leur chambre d'hôtel, mais surtout discuter avec les autres membres de la communauté, fait profil bas après les révélations d' un reportage de la chaîne britannique Channel 4 sur la multiplication de discussions à visée pédophile dans ses pages anglophones. Selon la chaîne, deux trentenaires ont d'ores et déjà été condamnés pour actes pédophiles envers 82 enfants, qu'ils ont pour la plupart rencontrés sur Habbo en se faisant passer pour des mineurs.

Dans ce reportage, relayé par le Telegraph , la journaliste Rachel Seifert explique s'être fait passer pendant deux mois (et 50 accès au jeu) pour une adolescente âgée de 11 ans. Selon elle, chacune de ses parties s'est vite achevé en «agression sexuelle» virtuelle.

«Le chat [y] était très sexuel, pervers, violent, pornographique, renvoyant ouvertement à des actes sexuels, détaille-t-elle, alors que sur l'écran s'affichent des messages comme "Peux-tu montrer tes seins?". Des participants expliquaient ce qu'ils allaient faire à d'autres, de façon très crue. En deux minutes, on me demandait "as-tu une webcam? Peut-on discuter sur MSN ou sur Skype?" On me demandait aussi de me mettre entièrement nue.»

«Un modérateur devrait intervenir aussitôt, a commenté pour Channel 4 John Carr, un spécialiste de la sécurité des mineurs sur le réseau, qui intervient souvent sur ces sujets dans les médias britanniques. Il n'est pas difficile de voir où cela va avant qu'il ne soit trop tard. [...] Mais il ne se passe rien. Si j'étais le père d'une jeune fille de 11 ans qui fréquente ce site, je voudrais que [les responsables du site] paniquent.»

C'est exactement ce qui se passe depuis hier. Balderton, un fonds d'investissement britannique, a décidé de geler sa participation à Habbo, propriété de la société finlandaise Sulake -- qui revendique quelque 250 millions d'inscrits dans le monde, âgés officiellement de 13 à 18 ans. Dans la foulée, les différents comptes Twitter officiels d'Habbo annonçaient la suspension de tous les chats dans le jeu -- ce qui lui enlève à peu près tout son intérêt. Les magasins Tesco, WH Smith et Game ont pour leur part annoncé l'arrêt de la vente des cartes d'achat Habbo.

Aujourd'hui, c'est le pdg de Sulake, Paul LaFontaine, qui se fend d'un court communiqué : «Je suis profondément attristé que, suite au comportement violent d'une très petite partie de la communauté Habbo, nous ayons dû prendre la décision de couper toutes les conversations sur le site. Nous sommes en train d'examiner nos plans à long terme pour la communauté Habbo [...]. Cette décision n'a pas été prise à la légère et souligne l'engagement continu de l'entreprise pour s'assurer que tous les utilisateurs du site soient protégés contre les comportements et discussions inappropriés.»

Placé dans une position défensive, le pdg de Sulake détaille également sur le blog les engagements de l'entreprise en matière de modération. Et Paul LaFontaine d'en profiter entre deux déclarations pour retweeter des attaques contre l'enquête de Chanel 4, qui proviennent d'internautes et/ou de membres de la communauté Habbo, qui témoignent n'avoir jamais vécu les scènes décrites dans le reportage de la chaîne britannique.

Interrogé par l'équipe de Channel 4, LaFontaine a refusé une interview frontale et se contente d'un commentaire écrit où il explique que son entreprise doit «surveiller 70 millions de lignes de conversation tous les jours 24 heures sur 24 et sept jours sur sept» , puisqu'Habbo est présent dans plus de 100 pays dans le monde. Mais des salariés de Sulake accusent -- hors caméra -- l'externalisation de la modération et la baisse des moyens qui lui sont alloués d'être en cause dans les dérives signalées en Grande-Bretagne.

Interrogés par Ecrans.fr , le service de la gendarmerie nationale spécialement chargé de surveiller les communautés en ligne et d'y repérer d'éventuels comportements pédophiles, nous a affirmé n'avoir pas constaté de problèmes de ce type sur Habbo.fr.

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