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Critique

Sabine, née sous le signe des maux

par Philippe Azoury
publié le 14 septembre 2007 à 9h38

Ce soir, à l'heure où Mia Frye introduira sur M6 les nouvelles Popstars, probablement aussi pop les unes que les autres, l'immense Sandrine Bonnaire vous présentera à la fois son premier film en tant que cinéaste (il fut même sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et devrait aussi trouver une sortie salle) et sa soeur : Elle s'appelle Sabine. Elle s'appelle Sabine et elle est autiste.

Sauvage. Il y a des présentations qui, une fois faites, s'impriment en vous à jamais. Il y a de fortes chances que Sabine ne nous quitte plus. Comme, avant elle, l'Yves du Moindre geste, le film fou de Fernand Deligny, comme chaque fois qu'un corps et une parole incontrôlés prennent la place du bavardage culturel auquel on nous habitue.

Scandale dans le poste : Sabine ne cherche même pas à nous séduire. Sabine bave, Sabine dort, Sabine cogne, Sabine pose 100 fois la même question, Sabine était d'une beauté sidérante, une enfant sauvage. Après cinq ans dans un hôpital psychiatrique, Sabine est méconnaissable : il n'y a plus que la maladie qui ressort d'elle, la maladie qu'une médication lourde, de celle que l'on hésiterait à administrer à un éléphant si on voulait l'abattre, n'a pas soignée (elle n'était même pas diagnostiquée), mais au contraire a laissé prendre le dessus sur la vie.

Sabine a un an de moins que Sandrine. Elles se ressemblaient comme seules deux soeurs y arrivent. Enfant, nous dit sa soeur, elle était différente. Au collège, on a voulu lui faire rejoindre les autres élèves. Elle y a rencontré l'incompréhension : elle s'y mordait les poings, se déshabillait au milieu de la cour. Déscolarisée vers 12 ans, elle apprend le piano à domicile, se révèle douée. Sandrine, de son côté, croise la route de Pialat et du cinéma. Les frères et les soeurs s'en vont vivre leur vie d'adultes, Sabine reste et s'enfonce. La violence s'empare d'elle.

Ecoute. Quand le film commence, Sabine a intégré un centre en Charente, auprès d'une médecin assez extraordinaire (il suffit de l'entendre parler des malades pour voir précisément où l'on est). Un centre spécialisé comme il n'y en a pas assez en France. Car le but de ce film, son principe premier, ce n'est pas de dévoiler un secret de famille, un coin assombri de la vie d'une star, mais de faire bouger l'inertie des pouvoirs publics, faire que les malades aient accès à davantage de lieux adaptés où l'on puisse mieux les prendre en charge. «Je veux souligner le fait que l'hôpital est un lieu de soin, donc de transition, et en aucun cas un lieu de vie. Y vivre cinq ans fait que l'on devient fou», rappelle Sandrine dans le dossier de presse. Elle sait ce qu'elle dit : Sabine habite en elle depuis toujours.

Il suffit de lire entre les pans, remarquer comment elles se regardent toutes les deux, l'une devant la caméra (pour une fois), brusquant tout, innocente des règles civiles, l'aînée derrière (pour la première fois) : pas un plan qui cherche l'événement, le sensationnel, mais une écoute, quotidienne. L'intelligence et la puissance du résultat nous donne aussi l'occasion de vous présenter une cinéaste : elle s'appelle Sandrine.

Philippe Azoury

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