Samsung et Apple, retour de baston

par Virginie Malbos
publié le 16 septembre 2011 à 16h38

C'est un spectacle tout à fait fascinant que d'observer depuis cinq mois ces deux combattants s'affronter sur le ring. Un spectacle qui n'aurait pu voir le jour si le premier, défendant les couleurs de son blason à la pomme, ne s'était décidé un beau jour à attaquer le second , géant sud coréen nommé Samsung et accusé d'imitation. Encaissant dans un premier temps, ce dernier a fini par répliquer violemment, portant quatre coups simultanément. Alors le premier, Apple, en a remis une couche, et multiplié ses attaques par six, surenchère oblige. C'était en avril dernier. Entre temps, quelques catcheurs supplémentaires ont bien tenté de s'incruster sur la scène, détournant l'attention et se prenant, au passage, quelques coups bien placés par le premier. Mais invariablement, on a toujours fini par les oublier pour revenir aux deux vigoureux combattants qui n'ont eu de cesse de relancer la bataille. Jusqu'à la semaine dernière, quand le second est tombé sous les coups du premier . K.O.? Le spectateur a retenu son souffle, un peu sonné par la vacuité du combat mais espérant tout de même un énième rebondissement.

Il y en aura deux : alors que le tribunal de Düsseldorf a définitivement interdit la Galaxy Tab 10.1 en Allemagne , Samsung et Apple ont déplacé leur terrain de guerre en France et au Royaume-Uni. Le spectacle continue donc pour un autre round, à vue de nez le vingtième. A l'origine de ce nouveau ressort scénaristique : Apple qui a déposé lundi une plainte outre-manche -- dont rien n'a filtré -- contre Samsung. Pour l'entreprise sud-coréenne, il s'agit là d'une réponse de l'Américain à leur saisine de cette même cour le 29 juin dernier. Les sud-coréens avaient alors déposé une plainte concernant un nombre non communiqué de brevets et dont le contenu n'a pas encore été dévoilé. Celle-ci s'inscrivait dans une série de recours juridiques effectués au Japon, en Corée du Sud, en Allemagne aux Etats-Unis et en Italie, et qui répondaient aux attaques précédentes d'Apple, pas franchement plus explicites. En début de semaine, on a appris que la France n'avait pas non plus été épargnée : Samsung a déposé le 8 juillet une plainte concernant les iPhone et iPad ayant recours à la 3G et qui violeraient trois brevets déposés sur cette technologie.

Technologie sans fil contre design

Ces quelques brevets sont l'arme choisie par Samsung pour se défendre face aux attaques d'Apple. Les plaintes varient selon les pays, mais globalement, il est toujours question de deux à dix brevets, sur les technologies sans fil et la transmission de données, qui auraient été violés par les iPhone, iPad et iPod. Et si Samsung s'attaque aux tablettes et téléphones, c'est qu'Apple a commencé la bataille de la sorte. En effet, lors du premier dépôt de plainte , le 15 avril aux Etats-Unis, Apple accusait Samsung d'avoir violé 19 brevets, concernant autant l'utilisation de la technologie multi-touch que celle d'une forme rectangulaire aux coins arrondis en passant par la disposition des seize icônes colorées pour les applications. «Ce genre de copie flagrante est mauvaise, et nous devons protéger la propriété intellectuelle d'Apple quand des sociétés volent nos idées » , expliquait alors l'entreprise.

Cinq mois plus tard, elle n'a toujours pas eu gain de cause en ce qui concerne les brevets purement techniques mais a obtenu une grande victoire en Allemagne , en arguant la propriété intellectuelle de son design. La juge a approuvé, estimant « que le design minimaliste d'Apple n'est pas la seule solution technique pour faire une tablette informatique » . Des arguments qui pourront désormais faire jurisprudence pour la firme américaine et orienter ses attaques, d'autant qu'en août en Australie, l'entreprise a provisoirement réussi à faire reporter, pour les mêmes raisons, la sortie de la Galaxy Tab 10.1 jusqu'à une décision judiciaire prévue fin septembre.

Comme toutes les tablettes se ressemblent -- surtout quand elles passent par le Photoshop des avocats d'Apple afin de revenir à des proportions plus arrangeantes --, les Américains ont désormais toute latitude pour attaquer les tablettes noires, un brin minimalistes, aux bords arrondis et aux icônes colorées. Ce qui ne devrait pas faire les affaires d'HTC et de Motorola, tous deux engagés dans une confrontation autour des brevets avec Apple : le premier depuis mars 2010 (attaque d'Apple aux Etats-Unis pour 20 brevets), le second depuis octobre 2010 (attaque de Motorola autour de 18 brevets concernant iPhone, iPad, iPod mais aussi quelques Mac).

Google en soutien, Android dans la ligne de mire

Pour autant, ces duels à coups de brevets et de protections juridiques sont bien loin d'être des confrontations entre deux acteurs seulement. Dans le cas d'HTC, les plaintes déposées puis modifiées -- on retire deux brevets, on en rajoute quatre... -- aux Etats-Unis ont largement dépassé la vingtaine du dossier Apple/Samsung et ont poussé l'entreprise à racheter en juillet dernier les brevets de S3 Graphics, une autre société en procès avec Apple. Fort de sa nouvelle acquisition, HTC en a d'ailleurs profité pour élargir le terrain de conflit, portant plainte contre Apple le 29 juillet en Angleterre. Soutenu dans cette démarche par Google: on a appris début septembre que l'entreprise avait vendu à HTC 9 brevets supplémentaires pour lui donner des arguments devant les tribunaux.

Le geste ne surprendra personne : dans cette guerre d'usure autour des brevets qui oppose Apple, Samsung, HTC et Motorola, le système d'exploitation de Google, Android, est le principal visé. Apple estime en effet que son créateur, Andy Rubin, qui a commencé sa carrière chez eux, a emprunté une des technologies fondamentales d'Android permettant de gérer les flux d'informations en temps réel. Apple a porté plainte aux Etats-Unis, et le tribunal lui a donné raison en juillet, en première instance.

A peine voilé, l'objectif de ses attaques contre les constructeurs devient donc logique: faute de les faire renoncer à Android, il s'agira d'obtenir une résolution à l'amiable qui permettrait d'imposer un coût à l'utilisation du système d'exploitation de Google. Car pour l'instant, et contrairement à ceux des autres téléphones qui nécessitent des accords de licence, l'OS est gratuit et open source, financé par les retombées publicitaires.

Nouvelle étape : le rachat des constructeurs

Face à cette «campagne hostile» réalisée «par le biais de brevets bidons» , Google s'est insurgé début août de la course à l'armement qui se déroule en coulisses, après notamment l'achat début juillet des 6000 brevets et demandes de brevets de Nortel par un consortium formé par Apple, Microsoft, RIM (BlackBerry), Ericsson, Sony et EMC. Pressentant les attaques à venir, Google s'est donc décidé à monter d'un cran l'intensité du conflit : l'entreprise a de nouveau investi à la mi-aout dans 1023 brevets d'IBM (1030 avaient déjà été cédés par IBM en juillet) et a surtout acheté le 15 août Motorola Mobility et ses 17000 brevets. «L'acquisition de ce partenaire dévoué d'Android va permettre à Google de "booster" l'écosystème d'Android et va intensifier la concurrence dans l'informatique mobile» , s'est réjoui l'entreprise, qui fournira ainsi des armes à Motorola dans son combat contre Apple.

De son côté, Android connaît une influence grandissante. Selon une étude de l'entreprise de recherche marketing comScore, le système d'exploitation serait désormais le plus utilisé sur téléphone mobile, derrière Symbian, réunissant 22,3 % des Européens (l'étude a été réalisée en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni). Ce qui ne devrait pas réduire le nombre de poursuites, bien au contraire. Il y a quelques heures, la United States International Trade Commission a déclaré vouloir réexaminer l'un des jugements d'un procès qui avait opposé Apple et HTC sur deux brevets. Si elle donne raison à Apple, elle pourrait interdire les téléphones HTC sous Android aux Etats-Unis. Le combat continue.

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