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Libération

Sans-papiers, la République sans gêne

par Fabrice Tassel
publié le 2 avril 2012 à 17h52

L’Etat employeur (gourmand) de sans-papiers ? Si le constat n’est pas neuf, il est plutôt étayé dans ce documentaire d’Allan Rothschild (produit par Caméra subjective), et tombe à pic alors que les critères de régularisation des immigrés clandestins occupent les meetings des candidats à la présidentielle.

Les quelques histoires du film démontrent «l’hypocrisie française» consistant à rendre le chemin vers la régularisation extrêmement compliqué alors que ces mêmes candidats à un titre de séjour travaillent pour l’Etat. Ainsi N’Faly Doucoure, un Malien devenu la figure de proue des travailleurs sans-papiers, salarié au Smic par Bouygues pour rénover une partie de l’Assemblée nationale ; idem pour Ibrahima Doucoura, employé par un sous-traitant pour nettoyer l’Organisation internationale de la francophonie ; ou encore Adboul Diaw, professeur d’anglais sénégalais et interprète pour la police à l’aéroport de Roissy (!) menacé un temps par une «OQTF» (obligation de quitter le territoire français) avant d’être in extremis prolongé en raison de ses bons et loyaux services rendus à l’Etat.

Séquence incontournable sur le sujet, la file d’attente devant la préfecture, où plusieurs centaines de ces «bannis de la République» patientent jusqu’à une quinzaine d’heures avant de voir leur cas examiné. La caméra a été bien sûr arrêtée à la porte de la préfecture, car elle «crispait» un peu les fonctionnaires.

Marina est un peu crispée, elle aussi : depuis onze ans, cette Mauricienne vit illégalement en France et redoute de ne plus jamais revoir ses parents vivants. Marina, c'est la force et la faiblesse des Sans-papiers de la République . La force, car Marina travaillerait (le conditionnel est utilisé dans le documentaire) une dizaine d'heures par semaine (ménage, repassage, courses) pour un ministre du gouvernement Fillon. Celui-ci la payerait un peu avec des Chèques emploi service, beaucoup en espèces, et ne lui fournit aucune feuille de paie, ce qui empêche Marina de faire avancer son dossier de régularisation. Début mars, elle a obtenu une prolongation de trois mois, et a de nouveau rendez-vous à la préfecture début juin.

Ce ministre sera-t-il encore au gouvernement en juin ? Et qui est-ce ? C'est la faiblesse de l'histoire de Marina : on n'en sait rien, et on ne comprend pas pourquoi les auteurs n'ont pas confronté les dires de Marina avec l'employeur. «La raison est toute simple , indique Allan Rothschild à Libération . Des relations de confiance se sont installées entre Marina et moi et elle bosse encore chez ce ministre. La curiosité est attisée sur son nom, mais le symbole est plus intéressant.» Rothschild attend en fait que le ministre se reconnaisse lors de la diffusion et règle le cas de Marina.

Paru dans Libération du 2 avril 2012

Les sans-papiers de la République

_ documentaire d'Allan Rothschild

_ dans le cadre de «Lundi investigation»

_ Canal +, ce soir, 22 h 35.

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