Sarkozy cassé par le Conseil d’État

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 15 février 2010 à 10h46

La taxe télécoms, qui doit rapporter 350 des 450 millions d'euros promis à France Télévisions ? Bruxelles est en train de la jeter à la baille. La revente de la régie publicitaire publique à Stéphane Courbit, qui compte parmi ses actionnaires l'instigateur même de la suppression de la réclame, Alain Minc ? Elle sent le gaz. La renégociation de la convention collective pour mettre tous les salariés de France Télévisions sous la même bannière de l'entreprise unique ? Elle tourne à la bataille au couteau entre syndicats et direction. La suppression de la pub décidée par Patrick de Carolis soi-même  ? Annulée, a décrété hier le Conseil d'État, de même que la lettre de Christine Albanel, alors ministre de la Culture, lui demandant d'agir de la sorte. Définitivement, la grande réforme de l'audiovisuel public décrétée tout à trac le 5 janvier 2008 par un président de la République en mal d'idées tourne en eau de boudin.

Sur la forme, la décision du Conseil d'État ne change rien de rien : la pub continuera d'être supprimée après 20 heures sur France Télévisions. Mais sur le fond, ouhlala, bonjour l'humiliation. Dans son communiqué, le Conseil d'État évoque carrément une «instruction ministérielle illégale» . Voilà qui devrait achever de défriser Christine Albanel, alors chargée d'exécuter les basses œuvres de Nicolas Sarkozy. En décembre 2008, Albanel a «enjoint» (dixit le Conseil d'État) Carolis de supprimer lui-même la pub lors d'un conseil d'administration. Et ce avant même que la loi entérinant la suppression de la pub soit votée. En clair, le gouvernement a tout bonnement fait fi de la représentation nationale chargée de discuter et voter les lois tout simplement pour obéir aux desiderata de Sarkozy qui avait exigé la suppression de la pub au 5 janvier 2009.

En effet, souligne le Conseil, la suppression de la pub «portant atteinte aux ressources du groupe qui sont un élément de son indépendance, ne pouvait relever que de la compétence du législateur.» Deux Scud se sont glissés dans cette phrase : les manières de mufle du gouvernement sont épinglées, et le fait que France Télévisions doit être financièrement indépendante est réaffirmé. Bing et rebing.

Pour les sénateurs communistes et du Parti de gauche, instigateurs du recours devant le Conseil d'Etat, il s'agit là d'un «fait sans précédent dans l'histoire de la République [qui] prouve que la résistance institutionnelle face aux dérives autoritaires de l'exécutif est possible et nécessaire.» Jack Ralite, sénateur communiste, renchérit : cette décision est «un soufflet pour un certain président de la République» et constitue un rappel «que la télé a des droits qu'elle peut faire jouer» . En clair, France Télévisions n'est pas forcée de plier l'échine, surtout quand on lui demande de se tirer une balle dans le pied. Même tonalité du côté du PS, où le député Patrick Bloche estime que le «Conseil d'Etat inflige un désaveu cinglant au président de la République lui-même quant à son mode de gouvernance» . Pour Ralite, qui rappelle que le rapporteur du Conseil d'Etat avait parlé dans ses conclusions d' «ingérence» des pouvoirs publics, c'est un succès : «Je ne veux pas dire que c'est la victoire des victoires, mais dans ce monde de coup d'Etat permanent, c'est un stop.» À l'UMP, on balaye la décision d'un revers de main méprisant : «Sans conséquence.» Quant au ministère de la Culture, il parle de «tempête dans un verre d'eau» .

À France Télévisions, on est contents, mais sans plus. La CGT salue une «grande victoire pour la démocratie républicaine» , mais le SNJ soupire : «Ça veut dire qu'on avait raison, mais aujourd'hui, on n'a plus que nos yeux pour pleurer.»

Les syndicats sont en effet passés à la renégociation de la convention collective consécutive à la réforme de France Télévisions. Des négos suspendues hier, les salariés demandant la présence de Patrick de Carolis. «Il est déjà ailleurs , confie une journaliste, on dit qu'il va sauter après les régionales.» En fait, Carolis volait vers Vancouver pour les JO que diffuse France Télévisions. S'agirait pas qu'il rate le saut à ski.

Paru dans Libération du 12 février 2010

Sur le même sujet :

- Télé : la taxe qui excède Bruxelles (29 janvier 2010)

- Télé sans pub : la hâte de Sarkozy au court-bouillon (27 janvier 2010)

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