«Sarkozy nous bombarde»

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 21 septembre 2007 à 10h44

Les journalistes sont fatigués. «On a le nez dans le guidon» , dit l'un. «On est noyés» , soupire un autre. «J'en ai marre de toujours courir à droite et à gauche» , lâche une troisième. Tous crevés, épuisés, rincés par Nicolas Sarkozy, qui imprime à ceux qui le suivent le même train que le sien : d'enfer.

«Sarkozy, c'est le Jimi Hendrix de la com, un virtuose. C'est lui qui choisit le terrain, le timing, c'est lui qui mène la danse» , reconnaît Bernard Zekri, directeur de la rédaction de la chaîne tout info i-Télé et de Canal + . Là où Chirac communiquait pépère une fois par mois en moyenne, là où Mitterrand jouait de la rareté de sa parole, Sarkozy est partout et tout le temps.

Cette semaine, c'était un festival : un discours sur le social à Paris, sur les fonctionnaires à Nantes… Avec, à chaque fois, les journalistes dans sa roue : «Il a dessiné un nouveau Tour de France, et nous on est les suiveurs» , résume Zekri. A chaque déplacement de Sarkozy, un sujet au JT, des sons à la radio, un tombereau de dépêches AFP… «C'est notre rôle de chaîne d'info en continu , plaide Guillaume Dubois, directeur de la rédaction de BFM TV , que de suivre le Président en permanence.»

Même chanson à l' Agence France Presse : «On n'a pas tellement de solutions, l'AFP est censée tout couvrir, il faut suivre Sarkozy. Après on peut jouer sur le volume des dépêches. Sur les obsèques du marin pêcheur auxquelles Sarkozy a assisté, par exemple, on n'en a pas fait des tonnes» . Pour Philippe Ridet, qui au Monde suit Sarkozy, «un accrédité doit suivre a priori, c'est le président, il propose des choses. Après, notre responsabilité, c'est écrire ou pas».

Le 6 septembre, la veille du Conseil des ministres décentralisé en Alsace, Patrice Machuret, journaliste à France 3, a fait un truc de fou : contrairement à tous les suiveurs du Président, Libération inclus, Machuret n'a pas fait de sujet. «Il n'y avait rien, rien de nouveau, rien qu'il n'ait déjà dit , raconte Machuret, j'ai appelé la direction, ils m'ont dit : Ah, t'es sûr ? et puis ils m'ont écouté.» Ne pas faire de sujet quand il n'y a rien à dire, quoi de plus normal. Pourtant, les confrères de Machuret l'ont regardé de travers. Lui persiste et signe : «C'était de la com. C'est compliqué parce que Sarkozy nous bombarde tellement, le recul n'est pas facile à prendre, mais il faut que nous, les journalistes, on fasse attention.»

Faire gaffe : pas si facile pour ces moulinettes à info que sont LCI , i-télé et BFM TV . La journaliste Valentine Lopez, spécialiste de Nicolas Sarkozy pour i-Télé, l'admet : «C'est vrai qu'on en fait beaucoup mais, en même temps, Sarkozy est imprévisible. Il nous impose son agenda. Il distille de l'info tout le temps.» Géraldine Woessner, de BFM TV, renchérit : «Personne ne nous oblige à faire les sujets, mais on risque le ratage.» Les deux journalistes font le même constat : pas assez de temps pour travailler, passer des coups de fils, vérifier. Bref, faire son boulot de journaliste.

Belles vitrines pour Sarkozy que ces chaînes info qui, depuis des mois, ont toutes pris le même pli : la retransmission des discours présidentiels en direct. Micro ouvert pour Sarkozy, sans filtre, sans commentaire, sinon, ici et là, un débat ou une analyse avant ou après la prestation. La course au direct va même jusqu’à retransmettre les déclarations des porte-parole de l’Elysée (BFM TV) ou de Matignon (LCI) !

Très décontractée, l'OPA de Sarkozy sur les médias, et sans risque : alors que le gouvernement, la majorité et l'opposition se partagent le temps de parole télévisé par tiers, celui du président de la République est à part. Décompté par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), mais les chaînes n'ont pas à compenser du Sarkozy par du Hollande. Cet été, le député PS Didier Mathus a attiré l'attention du CSA sur cette atteinte au pluralisme. Réponse : tout doux, le CSA réfléchit depuis plus d'un an, «mais il ne faut pas attendre de décision avant au moins la fin de l'année» , indique-t-on au CSA. Pendant ce temps, Sarkozy poursuit son marathon médiatique.

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