«Second Life n'est pas un jeu»

Lundi 26 février, Erwan Cario a répondu aux questions des libénautes sur le phénomène «Second Life».
publié le 27 février 2007 à 16h56
(mis à jour le 27 février 2007 à 16h56)

Teddy: Lorsque je me promène dans Second Life , je demande quel est le but du jeu. A chaque fois on me rétorque que ce n'est pas un jeu, mais une seconde vie. Qu'en pensez vous ?

_ Erwan Cario: c'est tout le débat. Second Life n'est sûrement pas un jeu. Un jeu a besoin de défis, d'obstacles, de but et, plus généralement, de mécanismes ludiques. Il n'y a rien de tout ça sur Second Life . Cependant, Second Life s'inspire énormément de l'univers des jeux vidéo dans son interface, dans la façon d'incarner un personnage, dans le fait de le contrôler via le clavier et la souris, etc.

JF: Pouvez-vous nous expliquer alors ce qu'est Second Life ?

_ Second Life est d'abord un univers persistant. C'est un monde en 3D qui fonctionne (presque) 24h/24, ou les utilisateurs peuvent se retrouver. Et, très important, ce monde est entièrement façonnable par ses habitants. Si un utilisateur crée une maison, elle restera et sera visible par tous les autres.

Vera: Est-ce un peu l'équivalent de l'univers des Sims ?

_ Les Sims ont quand même un aspect ludique assez prononcé. Ce qui est absent de Second Life . Et Second Life s'affranchit beaucoup plus de la réalité. Dans les Sims , on a une maison, dans une rue, dans une ville, etc. Dans Second Life , c'est beaucoup plus bordélique, on se téléporte d'un endroit à un autre, on vole, il y a des avatars avec des ailes ou avec des têtes de peluches, etc...

Teddy: Ne trouvez-vous pas dangereux que de nombreuses personnes abandonnent leur vie réelle pour se consacrer entièrement à cette Second Life ?

_ C'est très exagéré. Les cas de ce type dont on parle beaucoup (trop?) sont rares. La majorité des utilisateurs y vont juste pour se balader, rencontrer des gens, se déguiser. En plus, Second Life est très peu addictif, par rapport aux jeux persistants comme World of Warcraft. Néanmoins certains y passent beaucoup de temps parce qu'ils cherchent à en vivre financièrement. C'est un autre sujet.

Sobchak: Second Life est un univers immense, mais il y a aussi très peu de monde connecté au même moment. Le «phénomène» n'est-il pas largement surévalué?

_ Oui, Second Life est médiatiquement très «surévalué» . Par rapport au nombre d'utilisateurs, en tout cas. C'est néanmoins un monde très intéressant. Malheureusement, à chaque fois que j'en ai entendu parler à la télévision, c'était sur le thème «Des millions de joueurs se retrouvent 24h/24 dans un monde virtuel» . Ce qui est faux. On trouve, à une heure donnée, environ 20.000 personnes connectées. Ce qui est ridicule par rapport aux jeux en ligne les plus importants. Mais Second Life est intéressant à cause de la possibilité d'interagir avec le monde, de créer des objets persistants. La-dessus, il est vraiment unique et ne ressemble à rien d'autre. Du coup, on trouve par exemple une très forte communauté artistique. Et se balader parmi les «œuvres» d'autres utilisateurs est une possibilité passionnante.

Sobchak: Faut-il voir dans Second Life l'avenir ou l'interface future d'internet, comme un article paru dans Libé le laissait entendre?

_ C'est une théorie que j'ai trouvée intéressante. Pas mal de gens pensent que Second Life est précurseur du web 3D. Pour l'instant, l'univers est encore bien trop limité pour qu'on puisse imaginer les utilisation possibles, mais pourquoi pas. Il reste cependant beaucoup de problèmes techniques (réseaux, affichage 3D, navigation, etc.) à régler avant que ça puisse être vraiment utilisé comme interface web.

Missie: Avec toutes les vraies sociétés, les vrais partis politiques, les vrais artistes qui s'y installent, est-ce que ça ne risque pas ressembler de plus en plus à la vraie vie?

_ Les sociétés et les partis politiques réagissent au phénomène de mode. Ils veulent y être à cause du côté «hype» de Second Life . Mais ce n'est qu'une toute petite partie de l'univers. En plus, pour tomber dessus, il faut vraiment les chercher. Je ne pense pas, par exemple, qu'un utilisateur puisse tomber sur l'Ile Sarkozy à moins de l'avoir cherché dans le moteur de recherche du jeu. Même chose pour Reuters ou Toyota. L'aspect intéressant de Second Life se trouve ailleurs, et il est tout a fait possible de se balader sans tomber sur des marques ou des partis politiques réels.

Roy: N'est-ce-pas, in fine , appelé a devenir un grand centre commercial?

_ C'est déjà presque le cas. Quand on se promène, on voit énormément de chose à acheter. Tout et n'importe quoi. On peut acheter des nouveaux mouvements pour son personnage, des habits, des accessoires, etc... Hier, je suis même tombé sur un vendeur d'hélicoptères.

Roy: Et les gens achètent? Quelle est la part du commerce sur Second Life ?

_ Je n'ai pas les chiffres précis. Mais je crois qu'au mois de décembre, environ 17.000 personnes ont dépensé de l'argent dans Second Life . Mais ce chiffre doit être en augmentation.

Parangon: Les objets créés doivent-ils être validés par l'éditeur? Ou sont-ils intégrés dans l'univers sans vérification?

_ Je n'en sais rien. Je pense qu'il doit y avoir une sorte de modération a posteriori, mais pas de vérification avant. C'est d'ailleurs comme ça qu'un utilisateur a pu faire planter le monde en créant un anneau doré qui se reproduisait tout seul dès que quelqu'un cliquait dessus. Tout le monde s'est amusé à le faire, et il y a eu une invasion d'anneaux dorés.

Parangon: Est-ce que la création d'objets et de bâtiments virtuels dans un univers plus ludique pourrait apporter un grand courant d'air frais aux MMOs?

_ Oui, je crois que ça pourrait être très intéressant de reproduire ce type d'univers dans un contexte ludique. Mais les limites sont surtout techniques, pour l'instant. Je n'imagine pas, par exemple, que les 8 millions de joueurs de World of Warcraft puissent un jour se retrouver sur un même univers avec la possibilité de créer des objets et de construire leur maison... Mais on peut rêver...

Lolo: Et le sexe dans Second Life ? Quelle place occupe-t-il dans ce monde virtuel ?

_ Il occupe une très grande place. On trouve pas mal de lieux dédiés au sexe sous toutes ses formes dans le jeu (prostitution virtuelle, sado maso, etc.). D'ailleurs, tous ces lieux sont souvent surpeuplés et donc difficiles d'accès.

Sobchak: Second Life sera-t-il un jour sous licence totalement libre? Est-ce techniquement possible?

_ L'interface utilisateur est déjà passée en licence libre. La difficulté vient de la partie serveur. D'après Linden Lab, la société à l'origine de Second Life , il faut 4000 serveurs pour faire tourner le monde. Même s'il passent le logiciel serveur en libre, je ne vois pas qui pourra faire tourner le parc informatique nécessaire.

Véro: Existe-t-il une version française de Second Life ?

_ Je crois qu'il y a une solution pour traduire l'interface. Mais je ne connais pas les détails. Il n'y a pas de version française téléchargeable directement...

Kkakusai: 10 euro le mois je trouve un peu cher comme abonnement

_ Second Life est gratuit. Le fait de payer est complètement optionnel. On peut se balader sans dépenser un centime. Par contre, pour avoir des jolis vêtements ou une maison, il faut payer.

A lire également sur Ecrans :

_ - Le dossier : Menez une double vie avec «Second Life»

_ - L'actualité «Second Life»

_ - «Second Life», précurseur du web 3.0

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