Menu
Libération

Série je t’aime, série je t’adore

par Bruno Icher
publié le 1er décembre 2011 à 19h19

Jadis, le simple fait d'aborder la question d'une série télévisée dans un dîner en ville exigeait quelques précautions oratoires. Exemple : «En zappant l'autre soir, en attendant Thalassa, je suis tombé tout à fait par hasard sur une série américaine étrangement intéressante…» C'était la condition pour dévoiler à autrui qu' Urgences, X Files ou Buffy exerçaient, contre toute attente, une attraction irrépressible sur l'intervenant, contraint d'avouer cette passion vaguement honteuse. Aujourd'hui, une posture aristocratique a pris le dessus et il est devenu fréquent, dans ces mêmes dîners, de passer en revue le corpus des séries qu'il «faut» avoir vues pour se livrer à une joute verbale sur leurs qualités et défauts supposés.

Olivier Joyard, l'auteur du documentaire , ne fait pas qu'écrire des choses intelligentes sur les séries (dans les Inrocks notamment), il en filme aussi. Il s'attaque ici à un sujet aussi passionnant que casse-gueule : le phénomène lié à la consommation boulimique des séries un peu partout dans le monde, surtout si elles sont américaines et diffusées sur les chaînes du câble. Au moyen d'un montage sec, il enchaîne interviews de mordus gravement atteints par cette fièvre qui les conduit à organiser une large partie leur existence au téléchargement des programmes, puis à la collecte des sous-titres que des équipes très organisées mettent à disposition sur le Net (et auxquelles tous les nuls en anglais devraient ériger des mausolées de remerciements) avant, bien entendu, de renoncer quasiment à toute vie sociale pour les visionner.

En alternance avec les consommateurs compulsifs (dont Philippe Djian), la parole est également donnée aux principaux fournisseurs de cette irrésistible came, afin qu'ils livrent une amorce d'explication. Tim Kring ( Heroes ), Terence Winter ( Sopranos ), Shawn Ryan ( The Shield ), Matt Wiener ( Mad Men ) ou encore Damon Lindehof ( Lost ) racontent leurs méthodes, leurs astuces et leurs anecdotes sur la création de cette «sériphilie».

Tous répondent à peu de chose près la même chose : le succès planétaire ou l'annulation d'une série relèvent d'une alchimie imprévisible. Même la visite passionnante de l'atelier d'écriture de Vince Gilligan ( Breaking Bad ) ne livre pas les termes de la formule magique. C'est tout le charme de ce docu qui, même s'il est recommandé de posséder une certaine culture de cette boulimie collective, donnera sans doute aux derniers irréductibles, l'envie pressante de s'adonner à cette douce violence.

Paru dans Libération du 1 décembre 2011

Séries Addicts , documentaire d'Olivier Joyard

_ sur Canal + ce soir, 23 h 10.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique