Sidse Babett Knudsen, la femme de «Borgen»

par Alexandra Schwartzbrod
publié le 16 novembre 2012 à 14h51

De Birgitte Nyborg, elle a l'assurance affichée, la décontraction vigilante des femmes de pouvoir, cette armure de façade qui s'effrite par flashs à l'évocation d'un souvenir, au feu d'une blague. A ses fans, pourtant, nous devons cette affolante vérité : Sidse Babett Knudsen est bien plus craquante encore que le personnage de Première ministre centriste qu'elle incarne dans Borgen, une femme au pouvoir , la série politique danoise dont Arte va diffuser la saison 2. Et ce n'est pas parce que nous l'avons vue se contorsionner au beau milieu d'une cage dans une jupe moulante et des bottes en cuir, une idée loufoque du photographe à laquelle elle s'est pliée de bonne grâce. Non, loin de nous cette pensée libertine ! C'est juste parce que, vingt ans après avoir quitté la France sans un sou, ni aucune perspective d'avenir, elle irradie une joie gourmande d'être de retour à Paris, sous une chaude lumière d'automne, auréolée de son tout nouveau statut de star.

Car, si les Français s'emballent tout juste pour Borgen (la saison 1 a été diffusée l'hiver dernier), cette série télé politique cartonne au Danemark depuis deux ans et accumule les récompenses dans le monde entier. Chaque épisode, le dimanche à 20 heures, a réuni 1,5 million de personnes soit plus d'un quart de la population de ce pays scandinave. Pourtant, il s'agit juste de découvrir «les coulisses d'une démocratie d'aujourd'hui et l'intimité d'une femme au pouvoir» , comme le note le dossier de presse. Bigre ! Les coulisses de la démocratie danoise ? Pas de quoi grimper aux rideaux ! «Une série danoise, qui se passe au Danemark, sur le système politique danois, on pensait qu'il n'y avait aucune chance d'intéresser qui que ce soit hors de nos frontières» , admet Sidse Babett Knudsen dans un éclat de rire (et un français parfait). D'autant que Borgen ne nous épargne rien des subtilités du régime parlementaire local avec son multipartisme et sa culture du gouvernement de coalition qui font de son Premier ministre un personnage coincé entre ses convictions et son besoin de compromis.

C’est là où le talent de Sidse Babett Knudsen se révèle, et ce n’est pas un hasard si, dans la catégorie «meilleure actrice», elle est nominée aux International Emmy Awards qui seront décernés lundi à New York. Détonnant mix de Catherine Deneuve pour la démarche et de Lena Olin pour le visage rond et mutin, elle a su donner chair, humanité et sérieux à ce rôle de Première ministre intègre dont la fermeté gomme la douceur et les doutes au fil des épisodes. Elle est parvenue aussi à nous tenir en haleine avec sa vie quotidienne de femme au pouvoir, entre son mari au foyer tenté de prendre le large et ses enfants dépressifs. Une femme ne peut donc toujours pas réussir sans détruire sa famille ?

Elle a surtout rendu le scénario réel. Si réel que, l'an dernier, un an après les débuts de Borgen , une femme a obtenu pour la première fois le poste de chef du gouvernement danois, la sociale-démocrate Helle Thorning-Schmidt. Impossible d'affirmer qu'il y a là un lien de cause à effet mais la coïncidence est troublante. C'est peut-être à ça, au fond, que l'on reconnaît une bonne série politique, à sa capacité à capter l'humeur du moment et à pressentir les évolutions d'une société. On se souvient que 24 Heures chrono , la série américaine désormais culte, envisageait l'existence d'un président noir bien avant l'émergence de Barack Obama. «Borgen a été davantage le miroir de ce qui était en train de se passer dans la société danoise qu'un élément déclencheur» , analyse Sidse Babett Knudsen. Nous n'en saurons pas plus sur ses convictions politiques, même si on les devine. Elle a ainsi été «très contente» de voir arriver Helle Thorning-Schmidt au poste de Première ministre, «parce que c'était bon pour la série.» Même discrétion sur sa vie privée. On doit lui arracher qu'elle a un fils de 8 ans.

Comme elle le dit courageusement, elle a «un passé avant Borgen» et pas des plus rectilignes. Ce qui explique sans doute la maturité de son jeu. Avec son frère et ses parents -- père photographe, mère éducatrice --, elle a vécu en Tanzanie avant de s'établir à Copenhague. Une école privée lui donne le goût de la musique, des langues et surtout du théâtre. «C'est peut-être pour ça que la comédie a été moins un choix qu'une évidence» , dit-elle. Sa mère insiste pour qu'elle ait un plan B mais un ami peintre l'en dissuade. «Si tu t'assures un filet de protection, tu es sûre de tomber dedans» , assène-t-il. Alors, à 18 ans, Sidse Babett s'installe à Paris avec son vélo. «J'étais une pionnière à l'époque. Ce qui est super à Paris, c'est que c'est chaotique mais tout le monde est prêt à l'imprévu» , s'amuse-t-elle. Elle passe une audition pour étudier au Théâtre de l'Ombre, aujourd'hui disparu. «J'ai appris le texte phonétiquement car je ne comprenais rien. Pour compenser, j'ai joué très physiquement, si physiquement qu'on m'a appelée "le Viking". La troupe m'a acceptée sans savoir que je ne parlais pas le français.» Elle l'apprendra en allant, jour après jour, lire à Beaubourg la Métamorphose de Kafka. «Jusqu'alors, je pensais que les comédiens, c'était un club exclusif qui, un jour, allait m'inviter et me donner ma carte de membre. C'est en France qu'on m'a fait comprendre que j'étais vraiment comédienne. C'est très français cette audace de s'assumer.»

Elle a beau se sentir comédienne, elle galère. Quand un de ses amis, au Danemark, lui propose un rôle dans une pièce d'Ibsen, elle retourne à Copenhague. «Là, c'était le luxe, j'avais l'impression de vivre et non plus de survivre.» Elle intègre une compagnie théâtrale, se spécialise dans l'improvisation et joue dans une comédie, Let's Get Lost , où elle fait une impro sur la jalousie qui lui rapporte le Bodil Award de la meilleure actrice, l'équivalent d'un césar. Elle se lance dans des shows comiques au théâtre, sept solos de sa composition qu'elle assure plusieurs étés de suite. Car cette fille est aussi très drôle, on le réalise au fil de l'interview. Et, bizarrement, c'est grâce à ça qu'elle s'impose dans Borgen . «Le réalisateur avait dans l'idée de donner le rôle à une comique, pour le contraste.» Elle y va d'abord avec circonspection. «La télé, ça ne me disait rien. L'idée qu'on puisse parler ou aller aux toilettes pendant que je joue, je ne trouvais pas ça digne» , dit-elle. Mais elle sent qu'elle ne peut passer à côté du personnage et se coule dans le rôle en faisant travailler son imagination. Elle n'a même pas cherché à rencontrer la «vraie» Première ministre.

Pour l'heure, elle tourne la saison 3, diffusée au Danemark à partir du 1er janvier. Mais son rêve reste le cinéma. Jouer dans «un film parfait» , à l'image d'un Marathon Man ou d'un In the Mood for Love , «mieux que mieux» . «Le cinéma, c'est mon amour» , confesse-t-elle.

Paru dans Libération du 15 novembre 2012

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