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Libération

Sinclair, le retour de la mohair supérieure

par Raphaël GARRIGOS, Isabelle ROBERTS et Isabelle Hanne
publié le 19 janvier 2012 à 12h15
(mis à jour le 19 janvier 2012 à 13h19)

Il a fallu attendre de recevoir, hier, le carton d'invitation à la conférence de presse du lancement, lundi, du Huffington Post en France pour avoir la confirmation officielle : oui, Anne Sinclair revient. Elle sera la «directrice éditoriale» de la version française du site d'info américain à succès. La fondatrice, «Arianna» (Huffington), sera là, mais «Anne» l'a déjà éclipsée. Huit pages d'interview dès aujourd'hui dans l'hebdo féminin Elle qui, face à une telle exclu, a avancé sa publication de vingt-quatre heures.

Faut bien ça pour l'ex-futur Première Dame, qui s'exprime là longuement pour la première fois depuis certain 14 mai 2011 que son Dominique Strauss-Kahn d'époux a été arrêté au sortir du Sofitel de New York. Tout juste avait-elle lâché quelques mots ici et là, comme à Michel Taubmann pour sa bio de DSK plus ou moins autorisée publiée en mai. «Je ne suis ni une sainte ni une victime, je suis une femme libre» , est-il écrit à la une de l'hebdo vedette du groupe Lagardère, qui vante une «interview-vérité» . Pourquoi Elle ? «La relation qu'elle a depuis des années avec Valérie Toranian» , la directrice de la rédaction, qui a recueilli ses propos. Pas la peine d'aller chercher du côté de Ramzy Khiroun, porte-parole de Lagardère en même temps que communicant de DSK : Anne Sinclair est une héroïne d'Elle qui, depuis des lustres, lui consacre papier sur papier, plus louangeurs les uns que les autres. Bon, tout de même, c'est un autre des spin doctors de DSK qui cornaque sa com : Anne Hommel, d'Euro-RSCG.

De son indéfectible soutien à DSK durant son épopée judiciaire américaine, Anne Sinclair déclare : «Le soutien inconditionnel, ça n'existe pas. On soutient si on a décidé de soutenir. Personne ne sait ce qui se passe dans l'intimité des couples et je dénie à quiconque le droit de juger du mien. Je me sens libre de mes jugements, de mes actions, je décide de ma vie en toute indépendance.»

Et la voilà de retour au boulot, seule sous les sunlights : «C'est vrai que la lumière professionnelle est toujours plus plaisante…» Une lumière qui n'avait plus brillé depuis longtemps. Avant, bien avant d'être cette figure sacrificielle, dont les psys interrogés par Elle , toujours Elle , décrivent la démarche comme «masochiste» , c'est d'abord un pull mohair, les dimanches soir de pot-au-feu. Bleu électrique, bleu lavande, rose. Années 80-90, moulée dans une myriade de lainages mousseux, Anne Sinclair reçoit. François Mitterrand, Bill Clinton, Mère Teresa, Gorbatchev… C'est 7 sur 7 , c'est doux, c'est soyeux, c'est confortable. Ça dure treize ans. D'elle-même, elle quitte ce cocon en perte de vitesse en 1997, quand Dominique Strauss-Kahn devient ministre de l'Economie du gouvernement Jospin. Elle l'a rencontré en 1989, épousé en 1991. Elle dirige ensuite la filiale Internet de la Une, e-TF1, jusqu'à ce qu'elle en soit brutalement vidée, en 2001. Elle gagnera 1,86 million d'euros aux prud'hommes contre la chaîne. Anne Sinclair s'éclipse alors de la lucarne et, en 2007, elle suit DSK à Washington quand il devient patron du Fonds monétaire international.

L'ombre de son mari risque de peser dans la crédibilité du Huffington Post français, d'autant que l'affaire du Carlton lillois n'est pas close. «Il va de soi , assure Sinclair dans Elle , que nous traiterons les sujets d'information qui se présenteront quels qu'ils soient.» Mais certaines de ses prises de position au sujet de DSK -- «une nouvelle affaire Dreyfus» - -font grincer des dents au Monde , qui a obtenu 34% du HuffPo français en échange de la fusion de sa filiale le Post dans le projet. Au sein du quotidien du soir, on considère que c'est Matthieu Pigasse, l'un des trois actionnaires du Monde et à 15% du HuffPo à titre individuel, grand copain du couple, qui a planifié cette arrivée fracassante. «On a un peu l'impression qu'à défaut d'avoir pu sauver DSK, il réhabilite Anne Sinclair» , dit un journaliste. Préoccupation première de la Société des rédacteurs du Monde (SRM) : distinguer le HuffPo du Monde.fr. Ils n'auront «aucun partenariat éditorial» , rappelle Adrien de Tricornot, président de la SRM. Seule la mention «en association avec le groupe Le Monde» apparaîtra sur la homepage du HuffPo, contrairement à une version précédente qui a fuité cette semaine et qui montrait, en tête, «le Huffington Post avec LeMonde.fr» .

Quant à la légitimité d'Anne Sinclair à diriger un média, avec sa seule expérience à e-TF1 il y a plus de dix ans, ça se discute. Mais quoi de mieux qu'un nom ultraconnu, bien au-delà de l'Hexagone, pour faire parler d'un petit site internet qui n'emploie, pour le moment, que dix personnes ? «Le Post souffrait d'un déficit d'image , raconte un journaliste du Monde . La venue d'Anne Sinclair permet de booster le site : c'est un coup de pub bien orchestré.» Et une stratégie habituelle d' Arianna , qui a nommé cet été l'épouse de l'acteur Tom Hanks pour diriger la version «baby boomers» du HuffPo américain. Autre point fort, Anne Sinclair a le bras long. Son carnet d'adresses dans les milieux d'affaires et politiques sera sans doute très utile au Huffington Post, alimenté par les contenus produits aussi bien par des journalistes que par des contributeurs prestigieux. Car avant d'être un site d'info, le HuffPo, c'est un casting.

Paru dans Libération du 19 janvier 2012

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_ Interviewée par «Libération», Arianna Huffington, fondatrice du «Huffington Post», explique les raisons du succès de son site d'information politique.

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