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Libération

Spamm, le net.art désirable

par Sophian Fanen
publié le 21 décembre 2011 à 11h35
(mis à jour le 21 décembre 2011 à 19h35)

Pas de file d'attente, pas de type trop grand qui cache le tableau que vous essayez d'apercevoir derrière le sac à dos d'un touriste. Lancé le 15 décembre, le Spamm , autoproclamé «musée des Arts super modernes», n'existe qu'en ligne. Comme les cinquante œuvres qu'il expose, choisies par deux artistes français: Thomas Cheneseau et Systaime . Des animations interactives, des gifs chahutés et des détournements de sites sont réunis dans un site lui-même pensé comme une création, puisqu'il hacke celui du musée d'Art moderne de la ville de Paris.

«L'idée vient de Fred Forest [un pionnier français du net.art et de l'art vidéo, ndlr], qui en 2000 avait créé le Webnetmuseum , explique Thomas Cheneseau. Mais la technique était alors naissante, les œuvres étaient figées et l'expo s'est peu renouvelée. Quand nous nous sommes lancés il y a un an, le web 2.0 était arrivé, avec beaucoup plus de facilité pour intégrer du contenu.» Le Spamm fonctionne ainsi comme un portail très lisible où l'on se promène à l'envi, cliquant pour avoir accès à un clip de Jankenpopp qui fait de Britney Spears une icône pop épuisée sur fond de Toxic martyrisé en 8-bit, ou au requin psychédélique de Jon Satrom. Drôles parfois, acides et pop souvent, les pièces réunies sont avant tout à prendre comme une introduction à cet art foisonnant qui existe par et pour le réseau.

Extrait de Toxic de Jankenpopp

Le Spamm reprend là la vieille idée du musée virtuel. Ainsi, comme l'expliquait déjà la chercheuse Anne Laforêt dans une étude sur la conservation du net.art publiée en 2003, «le net.art questionne l'institution muséale, et le musée s'intéresse au net.art depuis quelques années. En France, le musée d'Art contemporain de Lyon a organisé en 1997 Version originale, une exposition d'artistes francophones sur Internet. Des œuvres qui ont rejoint la collection du musée. Le Fonds régional d'art contemporain Languedoc-Roussillon a été le premier à acquérir des œuvres spécifiques au web (avec celles de Nicolas Frespech ). Auparavant, en 1995, le Whitney

Museum of American Art à New York avait reçu en don une œuvre de Douglas Davis, The World First Collaborative Sentence . En 1997, le Walker Art Center, à Minneapolis, crée la Gallery 9 , un espace d'exposition en ligne

pour accueillir des projets artistiques sur Internet. [La même année], le Guggenheim Museum a également mis en place des projets en ligne avec le Cyberatlas, et a été l’une des premières institutions à s’interroger sur la conservation du net.art. En Europe, la Tate Gallery à Londres a passé commande en 2000 à des artistes pour qu’ils créent des pièces spécifiques accessibles depuis le site du musée, après avoir accueilli des œuvres en ligne dans le cadre d’événements ou d’expositions.»

Extrait de No Fun d'Eva et Franco Mattes

«Nous ne voulons surtout pas faire un site pour le petit monde du web art, répond Thomas Cheneseau. Le Spamm se veut grand public, il y est facile d'accéder aux créations. De même, nous avons choisi des œuvres majeures mais aussi des œuvres de jeunesse comme un musée de peinture exposerait les études ou les dessins d'un peintre. C'est aussi la vocation d'un musée.» Une vocation que revendiquera bientôt encore un peu plus l'équipe qui anime le site, puisque certaines œuvres seront exposées in real life, via des écrans, sur les murs de La Cantine, à Paris, à partir du 19 janvier.

Le Spamm compte aussi conserver toutes les œuvres qu'il a compilées, avec l'autorisation des artistes, dans une exposition permanente que viendra compléter une exposition provisoire thématisée. On est là directement dans un fonctionnement de galerie en ligne, qui repose la question du rapport complexe du net.art, forme artistique pirate, construite en marge et souvent à l'encontre du monde de l'art, avec l'institutionalisation.

Extraits de Plus de Reynald Drouhin

«Les artistes qui font partie de ce phénomène sont des individus qui travaillent souvent indépendamment de structures artistiques, tempère Nicolas Sassoon, un artiste exposé par Spamm. Ils utilisent Internet comme une plateforme déterminante dans leur pratique, de façon spontanée et sans chercher forcément une reconnaissance dans les instances traditionnelles de l'art. Avec Internet, l'audience est mondiale, parfois cela représente une forme de reconnaissance suffisante. Il y a un intérêt grandissant pour beaucoup de ces artistes. Il n'est pas impossible qu'un musée ou une institution témoigne un intérêt similaire dans un futur proche, mais cela représente malgré tout une forme de circuit différent dans les trajectoires traditionnelles de l'art.»

«Le Spamm n'est pas en opposition au musée Pompidou par exemple, complète Thomas Cheneseau. Il s'agit davantage de dresser un constat, de sensibiliser, sans que ça soit un combat intellectuel.»

Interrogé sur le même sujet, Maurice Benayoun, autre artiste exposé par spamm, estime pour sa part que «les rythmes de renouvellement des musées en France sont lents, à l'échelle d'une vie. Il serait dommage de regarder passer les trains quand ailleurs on construit les gares... Et les pistes de lancement.»

Extrait de E-Forecast / Occupy Wall Screens de Maurice Benayoun

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