Menu
Libération

Spotify: du flou dans le flux

Publié hier puis revu aujourd'hui, le top 2011 des titres les plus écoutés sur Spotify laisse planer le doute sur le décompte des lectures.
par Sophian Fanen
publié le 30 décembre 2011 à 17h00
(mis à jour le 30 décembre 2011 à 17h07)

Oh la belle faille ! En publiant hier son classement des 100 titres les plus écoutés en 2011 en France (et dans sept autres pays), nouveautés et vieilleries comprises, Spotify a ouvert un boulevard au doute. Que vient faire en deuxième position Intro , un titre de 55 secondes signé Nec Pluribus Impar, groupe de rock français complètement inconnu, entre Adele (carton de l'année avec plus de 100000 albums vendus sur iTunes) et Rihanna?

Spotify confirmait hier son classement, avant de revenir dessus aujourd'hui et de publier une nouvelle liste sans le fameux titre de Nec Pluribus Impar... sans autre explication qu'une «erreur dans la compilation des données» .

Pourtant, si Spotify réfute la présence d'Intro parmi les titres les plus lus en 2011 depuis la France, on se pose des questions en le trouvant à la seconde position des titres qui contiennent «intro» dans leur titre, juste derrière l'ultra classique Intro des Britanniques The XX.

Tout d'abord, qui est ce groupe qui est venu jeter le trouble? Il s'agit du projet d'un homme seul, Rémy Martin, localisé à Marseille selon son MySpace , qui a publié When Life Rises with the Sun , son premier disque de huit titres «autoproduits» et «enregistrés à la maison» fin 2009, nous a-t-il expliqué au téléphone. Depuis, il a été très actif en ligne, a «envoyé le disque à toutes les webradios trouvées sur Internet, à des journaux et magazines en France, au Canada...» , et confié sa distribution digitale à Believe, l'un des principaux acteurs du genre en France. Le disque est du coup en vente et/ou en écoute sur toutes les plateformes de vente en ligne (iTunes Store, Amazon, Deezer, Spotify, etc.)

Toute cette bonne volonté a peu payé : quelques textes par-ci par-là, une interview ici , pas beaucoup de titres vendus. L'album pointe aujourd'hui au-delà de la 130000e place des ventes digitales chez Amazon France . Fin 2011, deux ans après la parution de son disque, le groupe n'a pas encore décollé.

Ce portrait de Nec Pluribus Impar (le nom est tiré de la devise de Louis XIV) est celui de beaucoup de formations indépendantes, en France ou ailleurs, qui vivent leur musique avec une franche et belle passion mais ne parviennent que très rarement à dépasser leur cercle local. Pour ces artistes, Internet offre de nouvelles pistes pour diffuser leur musique, mais cela ne suffit souvent pas.

Nec Pluribus Impar a donc décidé de tenter quelque chose, une technique qu'on a déjà croisée sur l'iTunes Store mais pas encore sur les sites de streaming (ou alors personne ne l'a remarqué): jouer la politique du clic, en l'occurrence de la lecture en repeat . «On écoutait déjà beaucoup le disque à la maison depuis la sortie de l'album et on voyait que ça montait sur les relevés d'écoutes , détaille Rémy Martin. Puis on a décidé de se concentrer sur un seul titre il y a trois mois. On a choisi Intro parce qu'il représente bien la musique du groupe et qu'il est court, il fait 55 secondes. Le but de tout groupe est de faire connaître sa musique, je sais que cela se fait sur iTunes: les majors, au lieu de dépenser 1 ou 2 millions en pub, achètent des morceaux pour les faire connaître une pratique qui reste [à notre connaissance marginale , ndlr]. Nous, on a fait appel à la famille, aux amis, aux amis d'amis. En tout, ça doit faire 12 ou 13 personnes qui écoutent ce titre, mais aussi l'album entier.»

Bilan selon les relevés communiqués à l'artiste par Spotify: «502000 écoutes sur l'année 2011» , dont «230000 en novembre» . «Au moins les trois quarts de ces lectures» concerneraient Intro . Toujours selon Rémy Martin, le disque de Nec Pluribus Impar comptabilisait environ 10000 écoutes pendant chacun des premiers mois de l'année (ce qui est déjà beaucoup). Cela laisserait quelque 412000 lectures pour les trois derniers mois, et donc quelque chose comme 21 jours de Spotify sur repeat par personne impliquée dans cette démarche solidaire. Un chiffre à pondérer puisque, la visibilité du titre augmentant dans les recherches de Spotify grâce à la bien nommée barre de «popularité», le nombre d'utilisateurs qui ont écouté l'album sans connaître quiconque dans l'entourage du groupe a dû croître. Idem pour les ventes iTunes, qui d'après le groupe ont progressé dans l'année.

Quant aux revenus, ils ne sont pas dingues, même avec 502000 lectures. Rémy Martin, qui est auteur, compositeur, interprête et éditeur de ses titres, dit avoir reçu 1700 euros de Spotify sur l'année, auxquels il faut ajouter les 10% retenus par son distributeur (Zimbalam, filiale de Believe). Un chiffre cohérent: à 0,003 euro par titre lu, le tarif de base chez Spotify, on retombe bien sur les 502000 titres écoutés. Impossible cependant de vérifier tout ça, Spotify refusant toujours de communiquer ses chiffres d'écoute.

Rémy Martin lui même trouve cependant «hallucinant» qu'une famille et quelques amis puisse pousser un titre en deuxième position du classement Spotify France, si c'est bien ce qui s'est passé. «Google a récemment changé son système de classement, en intégrant d'autres paramètres que la grosseur du site dans leur système de recherche. Peut-être que Spotify devrait modifier le paramètre de classement lié au nombre d'écoutes pur...»

Sur ce sujet, pas de réponse concrète pour le moment du côté de Spotify (et de Deezer), à qui la question a été posée. Les fêtes de fin d'année n'aident pas la réactivité et on ne peut pas leur en vouloir -- après tout c'est les vacances pour tout le monde. On attendra donc lundi.

Mais, partant de l'histoire racontée par Rémy Martin -- pas vraiment remise en cause par le revirement de la firme suédoise ce matin --, on peut se demander ce qui empêcherait un label ou un distributeur de faire pareil à une plus grande échelle. Les contrats de Spotify stipulent bien qu'il est interdit de gonfler artificiellement les chiffres, mais encore faut-il avoir les outils pour repérer ce genre de pratiques et les pondérer dans les classements de popularité.

Pour Nec Pluribus Impar, cependant, «le but n'est pas de prendre le logiciel à son propre jeu. J'ai utilisé Spotify afin de faire connaître ce que j'ai composé et enregistré et qui m'a pris pratiquement deux ans pendant tout le temps libre que j'ai eu, soir et week-end. Donc ça m'embête vraiment d'avoir mis en évidence ce que l'on peut considérer comme une faille car j'adore cette plateforme, que ce soit au niveau de l'ergonomie, de la bibliothèque ou de la qualité d'écoute. [...] C'est une énorme avancée pour la démocratisation de la musique et des petits groupes.»

Sinon, voici les autres tops France des titres les plus écoutés en 2011, sans bizarrerie pour le coup (enfin, si on considère qu'écouter Pitbull et David Guetta n'est pas une bizarrerie).

Deezer:

_ LMFAO – Party Rock Anthem

_ Adele – Rolling in the Deep

_ Mika – Elle me dit

_ David Guetta – Where Them Girls At (feat. Nicki Minaj & Flo Rida)

_ Pitbull – Give Me Everything (feat. Ne-Yo, Afrojack & Nayer)

_ Rihanna – We Found Love

_ The Black Eyed Peas – Just Can't Get Enough

_ Flo Rida – Good Feeling

_ David Guetta – Who's that Chick (feat. Rihanna)

_ LMFAO – Champagne Showers

iTunes Store:

Adele – Rolling in the Deep

_ LMFAO – Party Rock Anthem

_ The Black Eyed Peas – The Time (Dirty Bit)

_ Israel Iz Kamakawiwo’ole – Over The Rainbow

_ Rihanna – Man Down

_ Pitbull – Give Me Everything (feat. Ne-Yo, Afrojack & Nayer)

_ The Black Eyed Peas – Just Can’t Get Enough

_ Adele – Someone Like You

_ Jessie J – Price Tag (feat. B.o.B.)

_ Jennifer Lopez – On The Floor (feat. Pitbull)

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique