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Libération

Spotify: une rivière de chansons pour des revenus au compte-goutte

par Sophian Fanen
publié le 24 juillet 2012 à 14h14
(mis à jour le 26 juillet 2012 à 11h43)

De bouts de chiffres en données partielles, on commence à en savoir un peu (un tout petit peu) plus sur le fonctionnement de Spotify et ce que peuvent en tirer aujourd'hui les artistes.

Hier, le service de streaming musical anglo-suédois fanfaronnait ainsi sur son blog pour le premier anniversaire de son débarquement aux Etats-Unis. Entre les tartines d'autosatisfaction, on apprend que «13 milliards de chansons» ont été streamées en un an sur le service outre-Atlantique.

Un chiffre actualisé qui nous permet de nous lancer dans de joyeux calculs pour en apprendre plus sur la taille actuelle de Spotify dans le marché mondial de la musique -- qui n'est pas dingue, disons-le tout de suite.

Treize milliards de chansons ont été écoutées aux États-Unis, mais par combien d'utilisateurs? Spotify ne communique pas ce genre d'information. En avril, le New York Post , sans citer sa source, avançait le chiffre de 3 millions d'inscrits (dont 600000 payants, soit 20%). Dans la foulée, Spotify démentait ces montants sans donner ses chiffres... Cela dit, 1,4 million d'internautes avaient demandé une invitation avant même le lancement de Spotify aux États-Unis: un an après, le chiffre de 3 millions d'utilisateurs américains n'est donc pas invraisemblable.

Ensuite, il y avait dans le monde environ 10 millions d'utilisateurs actifs et réguliers du service fin 2011. Parmi eux, 3 millions (soit 30%) payent un abonnement. Et 85% de ces utilisateurs payants choisissent l'offre premium à 10 dollars (ou euros, mais restons en dollars ce sera plus simple), un taux que Spotify n'a jamais démenti et que le magazine Forbes reprenait en janvier lors d'un long papier laudateur sur Daniel Ek, le patron de Spotify.

En extrapolant le nombre de chansons streamées aux Etats-Unis, et en partant du principe que tous les utilisateurs de Spotify dans le monde ont un comportement similaire (c'est une hypothèse), on peut donc estimer qu'environ 43,3 milliards de chansons ont été streamées via le service dans le monde en 2011. En comparaison, le Store d'Apple vend 4 à 5 milliards de morceaux par an depuis 2010 -- qui peuvent être écoutés ensuite à volonté mais ne génèrent des royalties qu'une seule fois.

Une autre infographie récemment publiée nous permet ensuite de détailler combien ces montagnes de streams rapportent à Spotify et, in fine , aux artistes. Le distributeur digital britannique Ditto Music a compilé sur son site les diverses configurations de paiement proposées par les services de musique en ligne disponibles en Grande-Bretagne.

Deezer est absent de la liste, mais Spotify et iTunes sont mentionnés. Les chiffres sont ceux de 2011. Concernant Spotify, Ditto a résumé les divers barèmes dans une autre infographie, qui confirme ce que l'on savait déjà: Spotify verse presque deux fois plus aux ayants droit lorsqu'un morceau est écouté par un auditeur premium (l'abonnement à 10 dollars/10 euros).

La suite des calculs tient vraiment de l'hypothèse de travail: en effet, on ne sait pas combien l'utilisateur moyen de Spotify écoute de morceaux par an. Tout juste peut-on penser que l'utilisateur payant en écoute beaucoup plus que l'utilisateur gratuit. Car ce dernier est ralenti par les publicités et/ou une durée d'écoute mensuelle limitée (qui n'existe pas dans tous les pays...), et a des chances d'être moins engagé dans la musique que l'internaute abonné qui dépense 5 ou 10 dollars par mois.

Décidons que les internautes payants écoutent 50% des titres streamés dans le monde chaque année sur Spotify. Ce qui fait 7217 titres par internaute et par an (600 par mois, une vingtaine par jour), qui génèrent pour 85% des royalties à 0,0153$ et pour le reste des royalties à 0,0078$. Au final, les auditeurs payants rapporteraient selon cette hypothèse quelque 307 millions de dollars par an. Suivant le même calcul -- mais en se contentant du taux de royalties du streaming gratuit, à 0,0051$ --, les 7 millions d'auditeurs du gratuit généreraient pour leur part 110 millions de dollars de revenus (payés par la publicité).

Spotify affirme reverser 70% de son chiffre d'affaires à la filière musicale, ce qui laisse 292 millions de dollars à partager entre distributeurs, labels et ayants droit. Concernant ces derniers, et comme nous l'avons déjà expliqué , certains contrats signés à l'époque du CD n'attribuent aux artistes que 10 à 15% des royalties perçues, le producteur conservant le reste. Les contrats récents, ou ceux qui ont été renégociés, répartissent pour leur part les royalties du streaming à 50/50.

Dans les deux cas, les montants qui vont finalement aux artistes restent faibles, comparativement à ceux versés pour un téléchargement sur iTunes (0,71 dollar par titre). Globalement, et même en tripatouillant toutes les hypothèses disponibles, Spotify n'arrive pas à la cheville d'iTunes, qui aurait versé 3,2 milliards de dollars aux ayants droit en 2011. Pour en arriver là, Spotify devrait générer aujourd'hui près de onze fois plus d'argent...

Le modèle du streaming est donc loin de s'être imposé durablement, mais la renégociation à venir (en 2014) des premières licences conclues avec les majors au lancement de Spotify pourrait rééquilibrer un peu la situation au bénéfice du streaming.

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