Spots en stock made in USA

par Marie Lechner
publié le 5 novembre 2012 à 13h15

La prochaine élection à la présidence américaine aura lieu le 6 novembre. Elle sera précédée, comme c'est désormais la coutume, de la sortie de la nouvelle version de Political Advertisement VIII , film d'Antoni Muntadas et de Marshall Reese, qui compile les spots de campagne des élections présidentielles américaines de 1952 à nos jours. Cette précieuse anthologie montre l'évolution de la persuasion politique, à l'ère télévisuelle, de ses candidats en noir et blanc délivrant leur message verbal jusqu'à la sophistication actuelle où les techniques de marketing moderne se conjuguent avec celles de l'industrie du divertissement.

Dans cette étourdissante procession de spots livrés sans commentaire, on passe de la volonté d’informer le citoyen à celle de lui fourguer un produit (le candidat). D’Eisenhower à Obama, en passant par le télégénique Kennedy, les candidats finissent par tous se ressembler, employant les mêmes gestes et métaphores. Le développement des stratégies publicitaires finit par épuiser tout argument idéologique.

Muntadas a amorcé ce projet suite à sa rencontre avec le chercheur en science politique Edwin Diamond, auteur de The Spot , livre consacré à l'histoire de la publicité politique. «Je souhaitais refaire son analyse mais juste avec les images, qui livreraient leur propre vérité» , dit Muntadas, fin observateur et déconstructeur du «paysage médiatique». La première version sort en 1984, année qui verra la réélection de Ronald Reagan, après une campagne particulièrement habile, «Morning in America».

La publicité s'invite dans la politique américaine dès 1952 avec le révolutionnaire clip de campagne « Eisenhower Answers America », où «Ike», bien droit dans ses bottes, répondait directement à une question venant d'un citoyen lambda, une idée de génie du pubard Rosser Reeves, auteur de slogans vendeurs, comme celui d'une célèbre marque de friandise qui «fond dans la bouche pas dans la main» .

Si à l’époque, quelques politiques s’étranglent qu’on puisse vendre le futur président comme un vulgaire savon, ils s’y convertissent très rapidement. Cette nouvelle arme allait complètement changer la forme des campagnes politiques. En juxtaposant finement ces milliers de publicités, les auteurs révèlent les tactiques de marketing et la manipulation à l’œuvre : ressort émotionnel, spots négatifs, usage de la peur - des migrants illégaux, de la drogue, du crime ou encore du nucléaire, telle la fameuse campagne «Daisy» où une fillette effeuille une marguerite sur fond d’explosion atomique, utilisée par Lyndon Johnson en 1964 contre son opposant, Barry Goldwater, favorable au nucléaire. Une campagne qui peut faire sourire aujourd’hui. La disqualification de l’adversaire reste pourtant une tactique très usitée, seule sa forme a changé.

Le film, qui gagne en épaisseur et en acuité à chaque nouvelle révision, soit tous les quatre ans, passant progressivement de 40 à 85 minutes, permet d'observer les évolutions conceptuelles, techniques et formelles de ce spécimen particulier de propagande. Dans la dernière mouture, on observe qu' «Obama et Romney parlent désormais espagnol» et que «les gros groupes économiques ont suppléé les partis politiques» .

Paru dans Libération du 3 novembre 2012

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