Star Drake

par Olivier Seguret
publié le 5 novembre 2011 à 18h27
(mis à jour le 5 novembre 2011 à 18h28)

La série Uncharted , née en 2007 avec la PlayStation 3, est sans doute la meilleure exclusivité de Sony pour l'actuelle génération de consoles HD et certainement l'une des plus belles licences du jeu vidéo moderne. Le studio californien qui le développe, Naughty Dog, est lui-même tout à fait unique, une sorte de fonderie «zéro défaut» d'où ne sont sortis à ce jour que des lingots immaculés (les séries successives de Crash Bandicoot et de Jak & Daxter , emblèmes respectifs des PS1 et PS2). L'estime maximum acquise par Naughty Dog auprès des gamers l'apparente à une sorte de Pixar du jeu vidéo : un rythme de création au compte-gouttes, mais des produits fortement originaux, brillants dans leur exécution, diaboliquement précis dans leurs mécanismes et lustrés d'un polish irréprochable. Uncharted 3 : l'Illusion de Drake ne déroge pas à la règle. C'est même l'inverse ; il la moissonne au-delà de toutes nos attentes.

On croyait le précédent volet quasi-parfait, mais ce n’était apparemment pas l’avis de ses développeurs, qui ont trouvé la voie d’un considérable progrès là où on ne l’espérait pas : dans la narration. En trois brefs chapitres d’introduction, un twist narratif dramatique et poignant tend son arc, dont la flèche traversera tout le jeu pour en transpercer l’acte final, huit ou dix heures plus tard. Sans rien retrancher aux fondamentaux de la licence et de ses promesses, ce coup de théâtre que l’on ne souhaite pas trahirdonne une chair émotive tout à fait confondante et rare à l’expérience qui va suivre.

La durée de vie mentionnée, relativement faible, ne doit pas méprendre : Uncharted 3 est dense, riche et renouvelable, notamment via les modes en ligne ou coopératif. Une fois accomplie l'aventure «principale», ce mode solo - qui reste le vrai objectif d'une telle production - se rejoue pour le plaisir, dans le désordre où l'on voudra placer ses chapitres.

La série avait d'emblée été repérée pour la qualité de son écriture et la définition de ses personnages, notamment le héros, Nathan Drake, dont le charme désinvolte oscille de l'effronterie à la coolitude. Mais cette fois, l'épaisseur acquise par les seconds rôles, particulièrement le vieux Sully, et l'importance de leur présence au côté de Drake donnent au projet un centre de gravité neuf et puissant. Souvent, ses amis semblent faire corps autour de l'aventurier, dans un mouvement de protection réciproque qui prendra peu à peu tout son sens. Son double sens, d'ailleurs, puisque les effets du scénario, toujours placé sous la responsabilité d'Amy Hennig, se font naturellement sentir dans le level design des chapitres concernés. Une quête des origines sous-tend la trame de l'Illusion de Drake : celles du héros et de son ancêtre baroudeur, comme l'origine de l'amitié entre lui et Sully. Entre ce dont on hérite par la famille et ce qui est transmis par l'expérience. Nathan Drake, autant affamé de trésors que de vérité, découvrira aussi le fabuleux secret d'un monde oublié. S'ils avaient voulu sonner l'heure de la maturité pour Uncharted et son héros comme pour ses joueurs, les développeurs ne s'y seraient pas pris autrement.

Cela n’empêchera pas l’épopée de réclamer son dû et d’imposer sa loi : désormais parfaitement à l’aise avec son moteur graphique miroitant, sa charte chromatique pop et son goût immodéré du confort visuel, l’équipe de Naughty Dog livre dans cet épisode le meilleur de son artisanat, toutes ces ressources convergeant vers l’objectif d’une expérience immersive qui tienne ses promesses.

Depuis les sous-sols fantasmagoriques de Londres jusqu’aux sables d’une Arabie magique en passant par les ruines d’un mirifique château français ou en sautant par-dessus les ruelles et les toits de Carthagène en Colombie, un dépaysement vigoureux est à prévoir pour le joueur. Les rendez-vous que celui-ci attend avec le grand spectacle et l’action en plein vertige seront tous honorés avec ponctualité et brio. S’y ajoutera le cadeau sans supplément de prodigieuses cascades en plein air et de naufrages grandioses sur des mers démontées.

Mais même lorsqu'il atteint de telles extrémités virtuoses dans l'art du jeu et dans l'exultation de ses codes, jamais Uncharted 3 ne lâche le fil qui entre-tisse le récit et l'action. Loin de diluer l'expérience, cet entre-tissage, que la série a dès le départ exprimé par son usage radical de la cinématique, la condense et la substantifie, stimulant ainsi chez le joueur, dans un même mouvement, autant ses réflexes que ses affects. Ce joueur, dont l'âge moyen partout dans le monde ne cesse de mûrir lui aussi (33 ans, selon les dernières statistiques françaises) trouvera dans Uncharted 3 ce qui manque si souvent ailleurs : un jeu qui se place ouvertement dans la culture mainstream, celle du blockbuster de divertissement, mais qui respecte profondément le type à l'autre bout de la manette. Un jeu qui tient aussi bien ses engagements explicites que ses promesses tacites et qui fait confiance au joueur afin que celui-ci lui retourne le compliment : la confiance réciproque fonde la base primordiale du rapport entre un joueur et son jeu.

Après tant d'éloges, que doit-on craindre ? L'épisode suivant ? On souhaiterait presque que la trilogie s'arrête là, sur un coup d'éclat sans retour. Et que les orfèvres de Naughty Dog se concentrent sur ce qu'ils savent si bien faire : une nouvelle licence bien à eux, pourquoi pas pour la PlayStation 4 ? Et qu'ainsi Uncharted garde définitivement sa place unique dans le grand arbre de l'évolution du jeu.

Paru dans Libération du 4 novembre 2011

Uncharted 3 : L’Illusion de Drake

_ Sony-Naughty Dog

_ pour PS3, 60€ environ.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus