Critique

«Star Trek», jusqu’à épuisement des spock

Coupe au bol. Alors que la saga SF semblait à bout de souffle, J.J. Abrams revient avec brio aux origines du couple formé par le capitaine Kirk et son second aux oreilles en pointe.
par Bruno Icher
publié le 11 juin 2013 à 20h06
(mis à jour le 12 juin 2013 à 9h59)

La première incursion, en 2009, de J.J. Abrams au royaume compliqué de Star Trek s'était soldée par une forme de petit miracle : réunir dans une même salle ignorants et érudits de cet univers et leur faire partager, le temps d'une projection, un plaisir équivalent. Le réalisateur, très à son aise, avait su tirer parti de la curiosité de chacun à découvrir les premières armes des héros d'une saga galactique qui possédait déjà une notoriété à faire pâlir de jalousie n'importe quelle grosse licence hollywoodienne : dix films au compteur, des douzaines de jeux vidéo, des BD, des romans et six séries télévisées dont, bien entendu, les 79 épisodes de celle créée par Gene Roddenberry dans les années 60.

Pour une sommaire remise à niveau de ceux qui auraient réussi à esquiver cette pierre angulaire de la culture geek, Star Trek est une variation spatiale de l'Odyssée, dans laquelle l'équipage de l'Enterprise explore des zones floues de la voie lactée, rencontrant des civilisations inconnues et, il faut bien le dire, souvent hostiles. Mais avant tout cela, il avait bien fallu que l'équipage soit constitué, que les héros fassent connaissance, harmonisent leurs caractères, et c'est ce terrain du prequel, et donc de la naissance du mythe, qui intéresse Abrams. Ce n'est donc rien de dire que le réalisateur était attendu au tournant pour ce second volet, exercice qui s'annonçait piégé tant était flagrante la surexploitation d'un contexte sur lequel tout semble avoir été dit. Or, une fois encore, il s'en sort mieux que bien, fondant son film autant sur l'adrénaline pure que sur l'affection réciproque que se portent les deux personnages principaux, le capitaine Kirk (Chris Pine) et son second à moitié vulcain, Spock (Zachary Quinto).

En pyjama. Abrams, qui connaît ses recettes de blockbusters sur le bout des doigts, attaque pied au plancher. Dans la première séquence, deux membres de l'équipage cavalent dans une belle jungle rouge avec, à leurs trousses, une peuplade primitive en rogne. Ils ont de bonnes raisons : le capitaine Kirk vient de leur faucher une idole. Voilà à peu de chose près l'entrée en matière des Aventuriers de l'arche perdue, de Spielberg dont Abrams est, depuis dix ans, le successeur désigné.

La suite relève d'une recette conventionnelle du genre. Dans leurs pérégrinations, nos héros en pyjama font connaissance avec l'un de leurs pires ennemis, l'implacable Khan (l'inquiétant Britannique Benedict Cumberbatch), que l'on retrouve dans la série originale ainsi que dans la Colère de Khan, de Nicholas Meyer, sorti en 1982, où Ricardo Montalbán incarne le cruel personnage, le crâne recouvert d'une moumoute argentée que même Christophe Lambert aurait refusé de porter dans Vercingétorix.

Côté cahier des charges obligatoire, ce Star Trek contient tout ce qu'il faut en termes d'action et d'humour, jouant sa palette numérique avec brio, notamment dans une très spectaculaire attaque de San Francisco qui rappelle celles du 11 Septembre. De même, dans la cacophonie des énormes productions qui se multiplient, Abrams est un des rares qui tentent (et parfois réussissent) de produire quelque chose d'intéressant avec la 3D. Ici, c'est le démarrage en trombe de l'Enterprise qui fait vibrer les plombages des spectateurs, le séduisant désordre géométrique de l'intérieur du vaisseau en perdition ou encore, dans un registre intimiste, deux mains qui se joignent de part et d'autre d'une vitre blindée.

Amitié. C'est dans cet exercice que le film montre son meilleur jour. La partition serait épuisante (elle l'est quand même un peu après deux heures d'explosions et de métal froissé) si l'habile Abrams n'avait pas su contourner les obstacles du faux suspense, handicap principal d'un prequel puisque chacun sait qu'aucun personnage principal, héros ou vilain, ne mourra. En déplaçant les enjeux du film sur le terrain délicat de l'amitié virile, presque amoureuse, des deux héros, Abrams entrouvre l'air de rien une porte jusque-là bien dissimulée et qui pourtant crevait les yeux.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus