Stéphane Guillon, dommages et Inter

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 9 mars 2012 à 13h28

Oh non. Pas encore. Mais jusqu'à quand Stéphane Guillon va-t-il croûter sur son éviction de France Inter ? Combien de temps va-t-il encore se pavaner de plateau en plateau avec, en sautoir, son statut de victime de la main de Nicolas Sarkozy glissée dans la culotte des médias ? Eh oui : voilà Stéphane Guillon (désormais chroniqueur à Libération ) aujourd'hui en librairies avec Je me suis bien amusé, merci ! , le récit de son licenciement de France Inter en juin 2010. Lassitude. Et puis, on lit. Une, deux, trois, et finalement 265 pages. Vous allez rire : il est bien, le livre de Guillon, révélant quelques anecdotes pas piquées des hannetons, des portraits de personnalités médiatiques plutôt bien balancés et aussi -- si, si… -- un type qui doute.

Stéphane Guillon n'a pas attendu la nomination par Nicolas Sarkozy de Jean-Luc Hees et Philippe Val, respectivement à Radio France et France Inter, pour avoir des soucis avec sa direction. Et ce, en deux chroniques : l'une raillant le côté saute-au-paf de Dominique Strauss-Kahn, l'autre moquant Martine Aubry en «petit pot à tabac» . C'est l'épisode du début de 2009, déjà raconté par Guillon, où le président de Radio France d'alors, Jean-Paul Cluzel, lui déclare, sibyllin : «On m'a demandé de vous calmer. […] Vous agacez, vous agacez en plus haut lieu…» Ça commence à puer pour l'humoriste qui fait l'objet d'un «off» de Nicolas Sarkozy auprès de quelques journalistes, durant lequel le président de la République, avec le sens des priorités qu'on lui connaît, s'en est pris à Guillon après ses chroniques sur DSK et Aubry : «C'est injurieux, c'est vulgaire, c'est méchant.»

Rien que du connu jusqu'au chapitre intitulé «Le contrat». On est le 17 mars 2009, le nom de Jean-Luc Hees comme nouveau président de Radio France circule déjà mais rien de rien sur Philippe Val. Ce jour-là pourtant, Guillon est déjà au jus. «Philippe Val va être nommé directeur de France Inter, lui apprend un coup de fil. En vérité, c'est lui qui a été choisi en premier par le président de la République et il a proposé le nom de Jean-Luc Hees. Les choses se sont faites dans ce sens-là…» Qui est la gorge très profonde ? «L'épouse de quelqu'un de connu» , écrit Guillon sans donner son nom. Elle poursuit : «Il faut que vous sachiez que la personne qui m'a donné cette information a vu sur un bureau de l'Elysée votre nom et celui de Didier Porte… Votre exclusion est programmée. Elle est une condition sine qua non de leur nomination.» Quinze jours plus tard, le nom de Val fuite dans la presse. En juin 2009, il est nommé directeur de France Inter. Un an après, Porte et Guillon sont virés.

Mais un an plus tôt, écrit Guillon : «Je pensais naïvement pouvoir inverser le cours des choses.» Le voilà tentant de monter une barricade de bric et de broc à France Inter en organisant «la conspiration» . En l'espèce un petit-déjeuner où il réunit notamment Didier Porte, la directrice de la rédaction d'Inter, Hélène Jouan, et Nicolas Demorand (aujourd'hui PDG de Libération ). L'épisode se termine en capilotade : «Ce matin-là […] nous avons laissé passer l'occasion unique, belle, courageuse, de ne pas laisser faire.»

Et ça va se gâter, l'occasion pour Guillon de croquer rageusement Hees et Val. Le premier, tellement sympa au début, qui lui assure : «Elle est faite, ma vie, j'ai plus rien à perdre, je m'en branle, amuse-toi, ma poule.» Le second qui, à la Closerie des lilas, lui dresse ce portrait touchant du couple Sarkozy : «Ils se sont raccrochés l'un à l'autre comme un noyé à un rocher… Ce sont deux enfants perdus, des écorchés vifs.» Ce n'est pas pour rien que Philippe Val a été humoriste. Du même, cette sortie, un mois avant de virer Guillon : «Je crois que mélanger l'humour à la politique, c'est au fond une atteinte à la démocratie.» À graver au frontispice de l'école du rire.

Si Guillon règle méthodiquement leurs comptes à Hees et Val, il ne s'épargne pas non plus, se dépeignant en chômeur allant soigner son chagrin dans un palace corse (où il croise Xavier Bertrand, la honte) et en révolutionnaire au volant de sa «vieille Porsche» . La première manif de sa vie ? Celle organisée pour lui et Porte où il traîne sa fille «en échange d'une visite chez Zadig et Voltaire» .

Dans Je me suis bien amusé, merci ! -- dernière phrase, l'au revoir en moins, du livre posthume de Romain Gary, celui où il dit tout de son double, Emile Ajar --, Stéphane Guillon se déboutonne. Les aboiements de Philippe Val contre lui, le harcèlement de Jean-Luc Hees multipliant les attaques à son encontre dans la presse, ça pèse ; ses insinuations d'antisémitisme aussi. C'est la fameuse chronique sur Eric Besson, celle qui scellera son sort: «Des yeux de fouine, un menton fuyant, un vrai profil à la Iago.» Guillon esquisse un regret. Celui de n'avoir pas écouté sa femme, qu'il encense à chaque page (oui, y a aussi un petit côté roman à l'eau de rose), qui lui a déconseillé la fameuse phrase. Phrase que Guillon «traîne comme un boulet» , de même que Didier Porte son «Sarkozy enculé» : «Faut-il pour autant avoir des regrets ? Lorsque vous écrivez un papier par jour, il est impossible de ne jamais commettre d'erreur. Nous étions sous pression. Je me dis aussi que si cela n'avait pas été les "yeux de fouine" pour moi et le verbe "enculer" pour Porte, on aurait trouvé autre chose.» Sans doute, car plus que la chronique d'un licenciement annoncé, le livre de Guillon -- comme celui de Porte, avant lui -- est bien celle de la kärcherisation des médias du quinquennat finissant de Nicolas Sarkozy.

Je me suis bien amusé, merci !

_ de Stéphane Guillon, éditions Seuil, 18,50 euros.

Paru dans Libération du 8 mars 2012

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